ALLAN CARRASCO

Né dans le Vaucluse en 1984, ALLAN CARRASCO est l’un de ces sculpteurs atypiques dont les productions nous enchantent depuis des années, l’un de ces créatifs qui ne cessent de nous surprendre en étant jamais là où on l’attend. Si ses premières participations  aux concours laissaient déjà présager un réel talent, il s’est affirmé dans ses thèmes et ses techniques au point de devenir un acteur de premier plan de la scène figurinistique. Aujourd’hui, il accepte de répondre aux questions de Gangeek sans langue de bois.

Bonjour Allan.
Commençons par quelques questions d’usage :

-Comment as-tu commencé la figurine ? C’est l’approche plastique qui t’a séduit en premier, ou est-ce que tu en es arrivé là par le jeu, comme beaucoup d’entre nous ? Quel était l’univers qui avait le plus retenu ton attention ?

Par le jeu et par Games Workshop, pas très original. Le coté «artistique» m’a plu, le fait de devoir peindre ses pièces, fabriquer ses éléments de décor, à l’époque tout ça était beaucoup plus mis en avant. Je trouvais ça chouette qu’on nous explique comment fabriquer un bunker SF avec sa boîte de corn flakes… Warhammer 40k avait ma préférence.
Je me rappelle avoir acheté un White Dwarf, le numéro 3, j’étais tout gamin et je n’y comprenais pas grand-chose, mais les images que je voyais dans ce magazine me plaisaient beaucoup, j’ai même découpé des photos de figurines pour les faire tenir debout en les collant sur du carton, retaillé à leur exacte silhouette ! Ce n’est que quelques années après que j’ai renoué avec les wargames, sérieusement cette fois, ah ah. J’ai toujours adoré les figurines, les jouets représentant toutes sortes de héros et monstres … les petites voitures et les armes en plastiques ne m’ont jamais séduit, mon truc c’était les «bonshommes», clairement. Ca remonte à loin tu vois !

-Tous ici suivons ta carrière depuis le moment où tu as commencé à te médiatiser en écumant les concours de figs … C’était quoi, ta première grande victoire ? Quelle est ta pièce dont les gens se souviennent le plus ?

Le fait de gagner mon premier trophée au Golden Demon, c’était quelque chose ! C’est peut-être ça que je garde le plus en mémoire, d’ailleurs c’est le seul prix que j’ai conservé. Après bien entendu la Slayer Sword, une espèce de consécration de notre petit monde. La démonette reste sans doute à l’esprit de pas mal de gens, on l’a beaucoup vu et elle en a marqué plus d’un techniquement parlant, même si depuis elle s’est faite dépasser la pauvrette !

-Puis, tout s’est enchaîné pour toi … il y a eu Ilyad Games, Alkemy. Tu es devenu à une époque le co-gérant de Kraken Editions, je crois ? Peux-tu nous résumer ton parcours professionnel ? Qu’est ce qui t’a décidé à passer pro dans la figurine ? Quelle a été ta première pièce commercialisée ?  

Je n’ai pas vraiment choisi de devenir sculpteur de figurines, du moins, ça n’était pas un rêve ou un projet. Les choses se sont faites d’elles-mêmes, naturellement et c’est très bien ainsi. Le basculement s’est fait à une période de déception et de flottement quant à mes études supérieures alors que j’avais entamé successivement des cursus et/ou concours d’entrée dans le domaine des arts plastiques: fac, beaux arts, école privée etc. En parallèle je suis rentré en contact avec des éditeurs de figurines, de jeux etc. lors de salons et j’ai commencé à accepter quelques commandes, d’abord peinture puis sculpture. Mes travaux perso semblaient prometteurs aux yeux de certains ou bien ils avaient trouvé un jeune naïf dont ils pouvaient profiter … un peu des deux sans doute !
Ma première pièce éditée le fut chez Fenryll: une sorte de géant cornu avec une tête d’ahuri. J’en ai fait quelques unes pour cette marque et j’ai bossé ensuite pour Ilyad Games principalement plus d’autres boîtes de ci-de là, notamment Dark Age, fameux pour son côté mauvais payeur à l’époque. Kraken Editions marque une étape importante, j’étais en effet un des trois co-gérants, j’ai sculpté la presque totalité de la gamme Alkemy. Ce projet nous a fait passer quelques sympathiques années riches en expériences diverses bonnes et moins bonnes, j’ai énormément appris, à la fois comme sculpteur: s’occuper d’une gamme complète, devoir travailler rapidement et prendre en compte les autres maillons de la chaîne. Et sur le milieu du jeu et de la figurine … c’est un monde à part.

 -Tu as eu des rapports privilégiés avec les gens de “la nouvelle Ecole de Nantes” (Thomas David, JAG, …). Quels souvenirs gardes-tu de cette collaboration ?

Comme pour d’autres, on s’est connu sur les Golden Demon, puis il y a eu la période Ilyad Games, travailler fréquemment cote à cote a tissé des liens. Jacques-Alexandre et Thomas étaient mes profs en sculpture, forcément. Des moments importants et enrichissants à la fois sur le plan personnel et pour le boulot. Je côtoyais aussi Bruno Grelier, autre Nantais (décédé il y a peu d’années) entre les GD, on se voyait sur les French Waaagh Day. J’adore son œuvre (le mot est employé avec sincérité et plaisir) il m’a beaucoup inspiré, son univers, ses idées, sa peinture et sa personne ! Un grand mec !
Je reste en contact régulier. Avec Jacques-Alexandre, on peut se voir une à deux fois l’an.

-S’ensuit, tu as multiplié des pièces vraiment mémorables. Pour SMOG, on sent que tu t’es vraiment éclaté sur cette gamme.

L’univers de Christophe Madura (smog) est très riche et visuellement fort, c’est cohérent et pourtant il y en a pour tous les goûts. Une échelle supérieure à celle des wargames que je trouve plus agréable, ça me convient mieux. Une chouette collaboration en effet bien que certaines pièces furent carrément prise de tête comme les découpes argh ! Mais ça fait aussi partie du jeu.

… les monstres colossaux de Maelstrom (devenu entre temps Mierce Miniatures) … As-tu dû adapter tes techniques pour travailler sur ces nouveaux gabarits ?

Je ne me souviens pas avoir changé mes méthodes. C’est venu petit à petit et je faisais aussi généralement des pièces plus grosses que le 30mm classique lorsque je bossais pour moi (pièces de concours ou autre), ça reste de toute manière de petites sculptures qui tiennent dans la main.

Je travaille encore pour eux, leurs projets -bien que plus classiques qu’une gamme comme Smog par exemple- sont motivants. Ca me donne aussi l’occasion de développer des «familles» de créatures sur de longues périodes, comme leurs Trolls.

… et les créatures “bitales” de Kingdom Death. Tu as dû faire une drôle de tête en découvrant leurs concepts ! Ton approche est-elle la même lorsque tu abordes ces entités hors-normes ?

J’adore ! Je suis toujours excité en ouvrant un email d’Adam contenant le prochain concept … 😀
J’aime ce coté franc dans le choix des personnages (et BIM ! Une grosse bite !), ce sont les créatures qui sont à mon sens les plus intéressantes, entre du manga, du Giger et un aspect mythologique sous-jacent. Et puis j’aime sculpter des pénis c’est vrai, disons-le, ça produit toujours son petit effet sur le spectateur ! Je lui ai fait cinq grosses pièces pour le moment, les dernières m’ont donné pas mal de fil à retordre, très laborieuses, pleines d’éléments répétitifs, c’est une partie un peu «lourde» mais le résultat est intéressant.

-Quand on va visiter ton site, on réalise combien ton panel de clients est impressionnant. Avec lesquels as-tu préféré bosser ? Quels sont tes concepteurs/designers favoris ?

Avec ceux qui payent évidemment ! (Mauvaise) blague à part, le facteur humain est important, surtout dans un domaine comme le nôtre où l’informel et le tacite sont monnaie courante … donc si en plus un client vous prend la tête sur des broutilles ! Il y a un équilibre à trouver entre les clients qui te proposent de super projets ou qui jouissent d’un certain prestige (soit la renommée de la boîte/projet, soit la qualité de leurs productions), ceux qui sont financièrement intéressants, les coups de cœur, les marques de potes … j’essaye de jongler avec tout ça pour composer mon planning. Je pense aussi que la fidélité est importante envers un client qui vous fait travailler depuis des années, il faut savoir accepter des commandes peu motivante parfois, c’est donnant donnant.
J’ai aimé bosser sur Alkemy, les dessins de Bertrand Benoit et Xavier Gueniffey-Durin ont toujours été agréables à passer en 3D, dernièrement j’ai un faible pour les concepts sortant des talentueux doigts de Danny Cruz, il en fait pas mal pour Mierce et Kingdom Death justement. Figone me permet de créer des pièces conjointement avec Jérémie, souvent par brainstorming, ensuite je suis presque entièrement libre pour la sculpture.

Et par-dessus tout, j’aime faire des figurines sans concept, qu’on me dise un truc du genre: «je veux un gros homme poisson avec une matraque, pour le reste tu es libre.» Ca c’est génial ! (je viens d’avoir une idée, là).
Je suis fan du travail de Paul Bonner, Moebius (génie), Terada (ses travaux en traits, ses dessins oniriques mêlant poissons, légendes asiatiques, tourbillons aériens). En sculpture je lorgne pas mal sur Takeya en ce moment et des sculpteurs comme Beth Cavener ou Bruno Walpoth (allez voir, c’est superbe).

 -Rentrons dans des détails plus techniques. Quels sont tes matériaux de prédilection ? Ont-ils évolué avec le temps ? Tu fais partie de ces sculpteurs qui travaillent avec un medium de couleur verte. Quelle est la raison de ce choix ? Est-ce une forme de nostalgie vis-à-vis du greenstuff ?
J’ai essayé plusieurs type de pâtes, mais globalement j’ai toujours préféré les polymères. Ma première pièce, un gobelin, était en greenstuff ainsi que toutes mes premières transformations de figurines, j’ai ensuite intégré le milliput dans mes conversions puis très vite j’ai acheté de la Fimo pour faire des sculptures intégrales, de la « puppen Fimo » une pâte rose, un peu translucide et très ferme, très dure une fois cuite. J’ai ensuite bossé en Fimo, du marron, du vert, du gris … jusqu’à mon mélange actuel composé pour moitié de Fimo (elle même un mélange vert et beige) et de Sculpey Firm (couleur grise), j’ai découvert ce mélange par hasard, simplement en voulant rafraichir de la vieille Fimo en y incorporant du Firm que je venais d’acheter, et ben, ça m’a vachement plu. J’utilise du milliput standard yellow-grey en complément pour armes, accessoires, certains détails et/ou retouches. Mes armatures sont faites de fil d’acier galvanisé, épaissies/rigidifiées au milliput au besoin, enduites de cyano sur laquelle je pose mon mélange Fimo/Sculpey Firm. Pour la couleur verte, j’aime bien, ça ne va pas chercher plus loin. D’ailleurs je ne suis pas à l’abri d’un changement soudain de coloris !

-Comment abordes-tu une nouvelle pièce ? Stressé, serein ? As-tu un rituel secret que tu pratiques à ce moment-là ? Quelle musique écoutes-tu en travaillant, par curiosité ?
Pour la sérénité, ça dépend du degré de retard accumulé ! Mais en général j’y vais plutôt cool. Pas vraiment de rituel, j’essaye juste de ne pas me presser pour ne pas bâcler les étapes préliminaires, et aussi parce que c’est plus agréable. J’aime bien bosser sur au moins deux pièces en simultané, ça me permet de passer de l’une à l’autre lorsque j’attends un retour du client ou bien que l’une des deux me gonfle. Côté ambiance sonore, c’est selon les périodes, en ce moment j’écoute plutôt le silence, je tourne un peu au ralenti niveau productivité. J’écoute la radio, des émissions sélectionnées sur France Culture ou la radio locale de par chez moi, radio Zinzine. Musicalement, c’est éclectique, du rock/blues américain des années 60/70, des expériences vocales, de la musique Mexicaine avec au milieu de tout ça beaucoup de musiques traditionnelles du monde, j’ai une préférence pour les voix et les chants sacrés.

-On note dans tes travaux pro un certain nombre de thèmes chers : orques, pachydermes, singes, grands fauves … Est-ce dû au hasard des projets amenés par les clients, ou par goût personnel également ?
C’est dû je crois à une relation qui s’est établie entre mes travaux/goûts personnels et les demandes des clients. Pour les orques, j’en ai fait un certain nombre, simplement, mes créations ont plu et logiquement certains ont pensé à moi lorsqu’ils ont développé leurs propres orques/orcs/orks … tout le monde fait des orques, la future gamme «Black Sailors» (Orques pirates) a démarré avec deux pièces sculptées pour un collectionneur, l’idée de développer une gamme n’était pas prévue initialement.

Autre exemple, après avoir fait le Rhinotaure (pièce perso) j’ai eu des demandes de clients, cela m’a amené à sculpter le Kifaro (rhino préhistorique) chez Studio Mcvey ou encore les Sronax (hommes rhino laineux) chez Mierce Miniatures.

-A l’inverse, y’a t’il des sujets avec lesquels tu ne te sentes pas à l’aise ?
Oui, les machines, robots, pièces mécaniques, armures complètes, armes à feu bref les symétries «parfaites» qui nécessitent un travail long et rébarbatif. Donc quand j’ai le choix j’évite ! Je laisse volontiers ce boulot à d’autres qui sont de plus bien plus doués pour ça 😉

-Comment réagirais-tu à ces propos, tenus par un de nos confrères peintres ? :“La seule personne qui puisse peindre correctement les pièces sculptées par Allan, c’est … lui-même !”
J’ai longtemps pensé que c’était vrai, et je le pense encore à moitié 😀 en fait c’est vrai pour beaucoup de sculpteurs étant aussi des peintres. C’est tout à fait logique, le style de peinture s’harmonisant forcément au style de sculpture et la vision d’ensemble est plus cohérente puisqu’il s’agit d’un même auteur du début à la fin du processus. Quand on voit les pièces d’un Thomas David ou d’un JAG on peut tenir le même discours.
Maintenant, après avoir vu le travail de peinture de Benoit Ménard sur mes bustes d’Orques pour sa gamme, je peux difficilement prétendre faire aussi bien, donc …

-On te voit sur certaines photos en train de travailler sur des sculptures en 1/1. L’expérience a été enrichissante pour toi ?
J’en ai fait très peu, la seule véritablement en 1/1 était une pièce destinée à un costume, un bras mutant végétal, sculpté en terre, tiré en latex puis peint (fait avec et au sein de l’atelier de Cyril Roquelaine). J’ai fait quelques pièces d’une trentaine de centimètres en plastiline, l’inconvénient étant qu’il faille mouler l’original pour avoir une épreuve pérenne, ça nécessite donc un investissement temps et matériel plus important. On se rend vite compte en travaillant sur des échelles plus grandes que notre vision est calibrée sur nos échelles habituelles, il faut prendre du recul, concrètement, chose que l’on ne fait jamais sur un bonhomme de 3cm.

-As-tu approché la question de la sculpture 3D ? Quelle est ta position vis-à-vis de cette technique ?
J’ai essayé, vite fait, chez un pote. Pour le moment ça ne m’intéresse pas, ce n’est pas ma vision de la sculpture, mon plaisir est lié à un savoir-faire traditionnel, produire un volume, un objet, directement avec de la matière (quelle qu’elle soit) en utilisant mes mains, en jouant avec la lumière naturelle pour analyser mon volume. L’impression d’un fichier numérique nous rend accessible un véritable objet, la sculpture est là mais nous ne sommes pas intervenus directement sur la matière, à aucun moment, j’ai un peu de mal avec ça je crois. Toute la différence est là, le processus créatif n’a rien à voir, pour ma part je n’ai pas envie de transférer le temps passé sur mon établi à du temps devant un écran, j’y suis déjà bien assez comme ça.
Ces considérations sont personnelles, c’est ma sensibilité. Je ne crache pas du tout sur les travaux effectués par ce biais ni sur les progrès hallucinants faits en ce domaine, au contraire, on voit des choses sensationnelles et c’est bien pratique dans certains cas (faire des variantes d’un même modèle par exemple). Je pense aussi qu’il faut faire attention, pour l’instant, beaucoup de boîtes montrent des renders superbes, mais on est souvent déçus par le résultat imprimé, c’est peut-être dû au fait que pas mal d’artistes 3D n’ont pas conscience de ce qu’est une figurine, de l’échelle finale du projet, ce n’est pas leur domaine.
Si d’aventure le futur de la figurine était essentiellement dépendant de Zbrush et consorts (ce que je ne crois pas) je ne sais pas quel serait alors mon attitude, comment évoluerait ma pratique, vers quoi…?

-Tu es l’un de ces figurinistes qui ont la double casquette sculpteur/peintre, comme l’attestent tes nombreuses victoires aux GD (combien de statuettes, déjà ?) … comment expliquerais-tu ton style de peinture ?
Les statuettes, une petite vingtaine je crois. Pour mon style … je ne sais plus ! Ma dernière pièce peinte remonte à février 2013, près de deux ans. Ça fait des années que je n’ai plus peint de figurines, c’est dingue, ça me manque un peu des fois. Aujourd’hui j’aurais du mal à définir mon style, je crois que je ne peindrais plus comme à l’époque de la demonette, peut-être emblématique de mon style d’alors. J’utilisais une palette généralement assez limitée sur une même pièce, des contrastes forts, des ombres tirant sur le noir et je m’attardais longuement pour obtenir des dégradés soi-disant «irréprochables», j’aimais bien placer une couleur très vive au milieu de tout ça. Quand j’y repense je me dis que ça n’allait pas chercher bien loin … !
Avant ça, je suis passé par d’autres esthétiques, la période Nurgle «verte et orange» notamment tranchait radicalement avec ce qui allait suivre, c’était un peu grossier et facile, mais les pièces que je conserve encore de ces années sont plutôt rigolotes.

Et donc maintenant si je me remettais à peindre des bonshommes, je serais moins maniaque je pense, plus spontané avec un souci de la couleur et de la matière qui était peu présent avant.

-Tu fais partie de ces gens qui ont popularisé la technique des lavis successifs. Peux-tu nous expliquer en quoi elle consiste ?  
C’est une technique longue et assez chiante mais qui semble la seule réellement efficace pour obtenir des dégradés «parfaits» lorsqu’on a pas, ou que l’on ne sait pas se servir d’un aérographe. Je plaisante … (le rendu n’ayant rien à voir) il s’agit de colorer peu à peu une surface donnée en utilisant une peinture très diluée de façon a superposer des filtres presque transparents de peinture. Ce sont ces innombrables superpositions qui en se décalant petit à petit vont créer un subtil dégradé (nommé aussi « fondu », bien qu’il n’y ait pas de fromage). Maintenant reste à savoir si c’est vraiment utile à part pour impressionner quelques fins esthètes de la figurine.

-Tes pièces personnelles sont caractérisées par des ambiances peu communes … quelque part à la croisée entre du Brian Froud, du Dali, du Bosch. Comment définirais-tu tes univers de prédilection ? Avons-nous raison de penser que tu es plus medfan que SF ?

J’ai l’impression de n’avoir jamais fait de pièces personnelles, ou si peu, elles sont tellement perdues dans ce long enchaînement de commandes professionnelles. Et surtout je pense n’avoir pas encore pu sortir quelque chose qui corresponde aux sujets qui m’attirent (ce sentiment perdurera peut-être toujours). J’ai fait un pas de plus avec Courgeritte, mais ça reste timide et encore marginal.

J’ai un vif intérêt pour tout ce qui concerne les «arts premiers» et tout ce que cela implique comme histoire humaine, les cosmogonies des peuples traditionnels, l’unité qui lie leur passé lointain, le monde de l’invisible. De ça découle un penchant pour une forme d’esthétique archaïsante et peut-être un peu sauvage car systématiquement reliée aux forces de la natures. J’imagine que ma série d’hommes-animaux aux accoutrements bruts et chamarrés exprime ça, d’une manière simple, en plus de mon goût pour l’anatomie.

Donc si on va par là, je suis plutôt Fantasy oui, en tirant sur le coté antique ou préhistorique et moins le médiéval qui lui est habituellement associé. J’aime cependant beaucoup la SF, les ambiances « tatouine » de Star Wars, du Frezatto (gardiens du mazer) ou à la Arzach … J’ai beaucoup joué à Necromunda, un super univers ! Mais il est vrai que je développe peu (pas) la SF dans mes créations.
Tu parles de Bosch, ce n’est pas la première fois qu’on me dit ça, ça vient de mon homme-poisson … les personnages malingres à têtes d’animaux de Bosch, les scènes infernales, les poissons d’un Bruegel, tout est étrange et dérangeant, c’est sûr que j’aime bien et qu’il y a un lien mais je suis à des lieues de produire une imagerie aussi forte et symbolique.

-D’où tires-tu tes inspirations ? Y’a t’il des films qui t’aient particulièrement marqué, et dont tu exploites les thèmes ou les trouvailles graphiques ?

Concernant les films, je suis un peu à la rue je crois. Je ne vais presque jamais au cinéma et la dernière série que j’ai suivie c’était The X-files ! Je ne prends tout bonnement pas le temps. Je ne fais pas le pont entre films et sculpture/figurines, à la limite je serais plutôt inspiré par une description dans un livre pour en faire un personnage, dans un film le boulot est déjà fait alors c’est moins drôle. J’ai vu récemment le dernier Jodorowsky, la Danza de la Realidad excellent, et un documentaire sur son projet avorté de Dune, qu’il voulait adapter en film dans les années 70 … tripant ! Un film m’ayant particulièrement marqué graphiquement est  The Fall  de Tarsem Singh, à voir absolument.

 -Je me souviens des regards hallucinés des gens quand tu as déballé ton armée d’Eldars piscéens à ce French Waaagh Day. D’où était partie cette idée ?

C’est parti d’un tentacule de milliput ! A la base c’était une armée plutôt classique, orientée Arlequin en partie, et puis j’ai dérapé. La contagion s’est faite sur l’ensemble des pièces, j’avais aussi très envie de bidouiller les sanguinaires de khorne plastiques que je trouvais déjà très marins, les granules, les arrêtes dorsales, leurs têtes phalliques évoquant un corps de seiche, bref. Donc le thème a franchement basculé du coté poissons, crustacés etc. j’ai eu beaucoup d’autres idées, mais je ne sais pas si je les réaliserai un jour.

 >Comment avais-tu obtenu cet effet étrange de dégradation marine sur les pièces ? C’est très intriguant.

Grâce à un (plusieurs en fait) stylo jetable de suture chirurgicale ou HTC pour « high temperature cautery pen« . Ce sont des instruments qui peuvent monter jusqu’à 1200°! Ils ont malheureusement une durée de vie très courte, actuellement je n’en ai plus, j’essaye de guetter les lots périmés sur internet qui sont bien moins chers. Il en existe aussi des rechargeables, avec piles je crois. En tout cas c’est un vrai plaisir de travailler le plastique avec cet outil (en portant un masque).

 

-Parmi les milliers de figurines qui ont vu le jour depuis que le “hobby” (au sens large) existe, pourrais-tu nous dire quelles sont tes préférées ?
Oulà … plutôt que des figurines, je vais citer des noms de sculpteurs. Brian Nelson, j’ai toujours adoré son style, la presque totalité de sa production est fabuleuse à mes yeux pour ce qui est du 30mm, à la fois stylisée et réaliste, un compromis très juste. Sa gamme d’orks pour 40k sortie en 99 et ses pièces pour Gorkamorka (1997) restent un must, la gamme actuelle des orks, bien que plus variée, a baissé en qualité (l’élégance anatomique est primordiale pour moi). J’ai donc pas mal de ses créations dans ma vitrine ou mes cartons. J’ai une petite armée d’orks bricolée ces dernières années qui attend patiemment une hypothétique mise en couleur.

Pour le reste, je trouve qu’il y a des tas de superbes pièces/gammes, autant que des médiocres, un vrai foisonnement ! Tout ce qui sort des mains de Pedro Fernandez Ramos attire mon attention, il est fort ! Le Phœnix de Kingdom Death par Jag est un coup de cœur de ces dernières années.
En écrivant ces lignes je réalise que je reste très attaché aux productions GW. Beaucoup de leurs kits plastiques me laissent rêveur, sans être pour autant acheteur je suis attentivement leurs sorties. La gamme m’apparaît, prise dans son ensemble, comme un formidable matériau de base aux potentialités multiples pour qui a une idée originale et un minimum de compétences en modélisme.

-On regrette de voir moins régulièrement cette profusion de travaux perso un peu barrés … tu as moins l’occasion de peindre maintenant ?
Tout mon temps passé dans mon atelier est dédié aux commandes pro, à de très rares exceptions près, donc je ne peins plus en effet, je le regrette , il y a quelques pièces sur lesquelles je mettrais bien un peu de couleurs. Il faudrait que je garde du temps pour moi, j’ai trop de clients, ça me bouffe un peu (oui je me plains d’avoir trop de taff, j’en suis conscient).

 

 

-As-tu d’autres centres d’intérêt dont nous ignorons tout ? Es-tu un consommateur de jeux vidéos comme la majorité des membres de ce site ?
Je ne joue pas du tout aux jeux vidéos, j’ai bien eu ma période à l’adolescence, mais depuis ça ne m’attire absolument pas. Autrement, lorsque je trouve un peu de temps hors boulot et hors famille (j’ai une petite fille de quelques mois, ça occupe …) je gribouille un peu, je vais passer du temps dans la nature, je fais du yoga (1h par semaine, faut y aller mollo c’est presque du sport …) et je lis, mes lectures étant généralement orientées sur des thèmes à contre-courant de la pensée dominante communément admise, concernant divers sujets, il y a de quoi faire, on vit dans un drôle de monde … dernièrement une collection de masques a débuté toute seule (bon j’en ai trois pour le moment) et j’accumule des plumes, des coquillages, des graines aussi.

-Y’a t’il d’autres questions auxquelles tu aimerais répondre ?
Tu ne m’a pas demandé mon avis sur la situation actuelle de notre humanité. Mais à bien y réfléchir, tu as bien fait …

-On pourrait avoir quelques photos débiles en exclusivité pour Gangeek ? Du genre que mon rédacteur en chef m’avait montrées chez Ravage, mais qu’il n’a pas pu publier par décence ?

Merci beaucoup pour ton temps, nous te savons très occupé !
Merci à vous.

[N’hésitez pas à aller visiter le site d’Allan: allancarrasco.net