Preacher

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Au fin fond du Texas, alors qu’un prêtre clôt sa messe, une entité tombe du ciel, lui rentre dans le corps et fait tout exploser aux alentours. Au même moment, son ex petite-amie, en cavale, braque un conducteur qui s’avère être irlandais, alcoolique et…..vampire. Oui nous allons vous parler de Preacher !

Difficile de faire plus casse-gueule comme pitch de départ et pourtant il s’agit là du début de l’œuvre phare de Garth Ennis et Steve Dillon : Preacher. Paru aux éditions DC dans la prestigieuse collection Vertigo d’où sont issues des séries comme Sandman et Transmetropolitan, le comics s’avère parmi ce qui se fait de mieux en matière d’irrévérence ainsi qu’en dialogues crus et jouissifs. Fallait pas laisser un écossais écrire chez l’Oncle Sam !!

En effet, l’entité ayant pris vie dans le corps de Jesse Custer (le « preacher » donc) lui permet d’ordonner à quiconque d’exécuter ses ordres. Mais cette entité est recherchée car fruit d’un amour céleste improbable. Sont à ses trousses, le paradis à travers une sorte de véritable Terminator appelé le Saint des Tueurs ainsi qu’une organisation papale totalement pervertie. Afin de s’en débarrasser, Jesse, Tulip et Cassidy vont partir à la recherche de Dieu, qui a démissionné du Paradis. Démarre alors un road-movie aux multiples rebondissements et aux nombreux personnages délirants totalement « What the fuck » !! De Grand-mère à Tronche de fion en passant par Jésus de Sade, Preacher ne fait pas dans la normalité ni dans la moralité. Âmes sensibles s’abstenir ! Ennis est corrosif. Très corrosif ! Parfois trop diront certains mais il trouve ici son état de grâce. Et Dillon au dessin s’en donne à cœur joie, multipliant les faciès malsains et visages sardoniques. L’ensemble est magnifié par les splendides couvertures de Monsieur Glenn Fabry, virtuose du pinceau !

« Je mets les pieds où je veux, et c’est souvent dans la gueule ! »

C’est le bordel sur la Terre, on comprend mieux pourquoi en lisant Preacher. Bah oui, Dieu a démissionné et les anges et démons sont tout aussi cons que nous donc forcément on est pas dans la merde. De même, les crétins qui les adorent sont manipulés par des consortiums aux ambitions navrantes. Preacher tape dans la croix, fait rare au pays des burgers, mais le fait de juste manière. La bannière étoilée n’est pourtant pas trop écorchée, l’œuvre mettant en avant une Amérique pluriculturelle et terre d’échappées belles que les héros vont traverser, du Texas à New York en passant par la Nouvelle Orléans. Un vrai ton de liberté émane de la série. Liberté à la fois des trois héros qui ne s’interdisent rien et n’ont aucune barrières (ou presque) à leurs décisions mais également la liberté de ton imposée par Ennis, totalement libre dans le ton du récit.

Preacher c’est aussi du Audiard à la sauce grincheuse. La traduction de Jérémy Manesse (heureusement conservée dans la réédition d’Urban Comics) n’y est pas pour rien. On jubile toutes les deux pages sur des conversations truculentes et des réparties bien tapées qu’on rêve tous de sortir un jour dans notre vie. Une qualité d’écriture qui se ressent sur toute la série et qui témoigne également d’un vrai amour des auteurs pour leurs personnages. Les bad guys ne sont pas en reste, à l’instar de l’agent Starr, imperturbable maniaque aux déviances peu banales ou bien encore le Saint des tueurs, dont la menace plane sur les héros. C’est ordurier, outrancier, gore et souvent dégueulasse mais déclamé avec un tel talent !!! Faut juste pas laisser traîner la BD sous l’œil de fiston !

A American Horror Story

Fana d’Histoire avec un grand H, Ennis profite du milieu de la série pour illustrer trois histoires de personnages secondaires. La première met en scène le Saint des Tueurs dans un western vindicatif mettant en lumière les origines de la personnification de la Mort dans la série. Le second récit porte lui sur le personnage de Cassidy et ce qui l’a amené à devenir un putain de vampire ! En découle le parcours d’un immigré irlandais du 19ème siècle, et la métamorphose du personnage le plus intéressant de la série. Plus fun et plus contemporain, le récit sur Tronche de cul nous emmène dans les pérégrinations modernes d’un ado en plein essor dans l’industrie du disque. Vous ai-je dis qu’il a la gueule en bouillie suite à un suicide loupé au fusil ?

La dimension historique est également très présente dans la narration des origines du père de Jesse. Ennis étant coutumier des récits de guerre (il en intègre dans quasiment toutes ses séries et a aussi publié de nombreuses histoires courtes du genre), il aborde la guerre au Vietnam avec toute la hargne qu’on lui connait. Les protagonistes ne font pas la guerre, ils la subissent.

Tous ces éléments amènent à faire vivre les États-Unis comme un personnage propre de la série, rude et aride.

Bien avant Preacher, Ennis a publié une série appelé Goddess qui est vraiment l’ébauche de la série dont je vous parle aujourd’hui. La relation à Dieu, le ton, le déroulement, on y retrouve les premières grandes marques de ce qui deviendra un monument. La série se trouve toujours en occase pour une bouchée de pain (éditions Le Téméraire) et mérite vraiment sa lecture. L’autre temps fort du duo Ennis/Dillon est bien évidemment leur refonte de l’univers du Punisher. Si l’antihéros de Marvel est ce qu’il est aujourd’hui, c’est bien évidemment grâce à eux. Ennis a entièrement revu le personnage pour en faire une sorte de cuirasse imperturbable, véritable machine à tuer. La série fut un choc chez Marvel, véritable renouveau du personnage à travers une série ultra violente et sans concessions. Avec toujours un peu d’humour pour nuancer le tout, les auteurs vont ressusciter ce personnage autrefois has been et secondaire. Dillon refera d’ailleurs un superbe run sur le Punisher avec Jason Aaron et devait renouer une nouvelle fois avec le personnage en 2017 avant de mourir prématurément fin 2016. Ennis, quant à lui, nous a régalé de l’excellente série Thé Boys (avec Darick Robertson), pamphlet anti-super héros où une équipe un peu spéciale est chargée de surveiller les déviances des super-slips. Complètement barrée, The Boys est un régal, malgré un petite baisse de rythme en milieu de série (disponible en différents formats aux éditions Panini).

Aujourd’hui, Preacher s’est vue adaptée en série TV chez AMC. Bien moins épique, celle-ci se laisse regarder bien que le côté road-trip soit totalement à côté et que les personnages aient bien moins de charisme que ceux évoqués plus haut. Le projet ayant maintes fois été changé de mains et repoussé, ne boudons pas notre plaisir et laissons lui sa chance sur la saison 2 (qui, si elle suit la série, devrait être plutôt jouissive).

Comme nombre de séries issues de chez Vertigo, Preacher a connu plusieurs éditions par chez nous. Commencée aux éditions Le Téméraire, la série a été reprise et complétée en 9 tomes aux éditions Panini avec, fait rare pour l’éditeur à l’époque, une édition de qualité. Aujourd’hui, Preacher est en cours de réédition aux éditions Urban Comics avec 4 tomes sur 6 de sortis. Il serait dommage de passer à côté d’un des meilleures « road-movie » (road-comics ?) du 9ème art….

« Preacher » de Garth Ennis et Steve Dillon, éditions Urban Comics (4 tomes sur 6 de parus).

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