Le Geek !

Depuis un moment, le mot Geek est à la mode. Beaucoup de Bobogeeks ne connaissent pas les origines de ce terme et les faits historiques qui ont contribué à démocratiser son utilisation. Un petit retour aux sources s’impose ! Avec cet article, nous allons essayer de rendre justice aux gens qui ont survécu à la fadeur de la vie en s’isolant dans un monde imaginaire.

Les origines

Le mot geek trouve ses racines dans l’allemand « Geck » et dans le néerlandais « Gek ». Ces mots, issus du langage courant, désignaient divers types d’aliénés mentaux (comme le fou du village, le débile local ou l’imbécile heureux). Il y avait aussi en France le « Gicque » qui était un bouffon portant un chapeau à clochettes qui ressemble beaucoup à l’illustration du Joker sur les cartes à jouer.

Au XVIIe et au XVIIIe Siècles, des cirques sillonnent l’Empire austro-hongrois et présentent au public des monstres de foire (handicapés mentaux ou physiques) appelés des « Gecken ».  Le mot « Geek » fait son apparition en Amérique à la fin du XIXe siècle dans les foires. Il désignait un homme sauvage, la plupart du temps vêtu d’une peau de bête, qui devait faire peur aux spectateurs ayant payé pour le voir. On y trouvait aussi des Freaks (Gecken) et des spectacles de cirque. C’est intéressant de constater que la plupart des vrais Geeks considèrent le film « Freaks, la monstrueuse parade » (Tod Browning 1932) comme l’une des premières œuvres horrifiques ouvrant une porte vers le film de genre.

Le mot Geek va ensuite être utilisé pour désigner les personnes un peu folles n’arrivant pas à s’intégrer dans la société.  Des auteurs comme Upton Sinclair ou Meyer Levin utilisent ce terme pour désigner des hommes solitaires, dérangés et négligés complètement absorbés dans leurs pensées.

L’évolution de la culture Geek

Le premier livre geek sort en 1917 : A Princess of Mars ( Le Conquérant de la planète Mars, Les Conquérants de Mars, une princesse de Mars) écrit par Edgar Rice Burroughs. C’est le premier volume de la saga du Cycle de Mars. 

Cette oeuvre raconte les aventures de John Carter. Au début de l’ouvrage, le neveu du héros est appelé d’urgence à New York. A son arrivée, il apprend que son oncle John a été retrouvé mort le matin même. Dans son testament, il demande à être enterré dans un mausolée ne s’ouvrant que de l’intérieur et laisse derrière lui un manuscrit racontant sa fantastique aventure.

Cette histoire vous dit quelque chose ? Et oui il s’agit bien de la même histoire que le film John Carter sorti en 2012 au cinéma. Malgré une adaptation très réussie, le film fera un flop. Peut-être est-il beaucoup trop geek pour le commun des mortels ?

John Ronald Reuel Tolkien (1892-1973) écrit une saga qui va devenir pour beaucoup de geeks l’un des premiers échappatoires vers l’imaginaire. Le premier livre n’est autre que The Hobbit, or There and Back Again. Ce conte sort en 1937 et sera plutôt considéré comme un livre pour enfants à cause de ses illustrations et de son contenu. Sa suite, divisée en 3 volumes, va devenir culte. The Lord of the Rings sort en 1954 et démocratisera la littérature « Fantasy ».

Pourtant Tolkien était méprisé par ses collègues de travail, qui se moquaient de lui.

Pour beaucoup de geeks, Le Hobbit raconte métaphoriquement comment un individu peut dépasser ses limitations pour devenir un véritable héros.

Le Hobbit marqua toute une génération. Leonard Nimoy chanta en 1967 The Ballad of Bilbo Baggins. C’est dire !

The Hobbit sort en dessin animé/téléfilm en 1977 sur NBC.

En 1978 sort dans les salles de cinéma américaine le dessin animé J. R. R. Tolkien’s The Lord of the Rings. Ralph Bakshi et Peter S. Beagle vont faire un film d’animation regroupant une partie des deux premiers livres. Cette œuvre combine dessin animé traditionnel et prise de vue réelle rotoscopée. Le résultat est des plus curieux.

Dans les années 60, le mot « Geek » va désigner des individus n’arrivant pas à s’intégrer. Ils seront victimes d’une forme d’exclusion sociale, les privant de reconnaissance. Certaines de ses personnes vont même être stigmatisées. On les appellera les Nerds. Les mots Geeks et Nerds deviennent des manières péjoratives de s’insulter dans les écoles aux USA (à l’inverse du terme « Jock », désignant l’athlète adulé et aimé de tous).

Le geek est un super-cerveau scientifique, un Ingénieur obsédé par le détail, arborant une Pocket protector pleine de stylos et portant des lunettes énormes. Il ne jouait pas au football mais faisait de l’Ultimate Frisbee et se faisait martyriser à l’école.

Les comics books étaient très appréciés des geeks. Ces lectures étaient accusées de faire grimper la criminalité. Les mauvaises langues disaient que Batman était homosexuel et que Wonder Woman pratiquait le sadomasochisme. Les Geeks s’identifieront surtout à Spiderman qui sera crée en 1962.

En 1966 nait la série télévisée Star Trek. Gene Roddenberry nous raconte l’histoire du Capitaine James T. Kirk et de son équipage voyageant dans l’espace à Bord de l’Enterprise NCC-1701. Leur mission : explorer la galaxie afin d’y découvrir d’autres formes de vie. C’est l’une des premières série à parler de manière détournée des problèmes comme le rôle de la technologie, l’eugénisme, la guerre, l’autoritarisme, l’impérialisme, la lutte des classes, la géopolitique, le racisme, les droits de l’homme, le sexisme … Pour beaucoup de geeks, Star Trek est un véritable chef d’œuvre.

La première révolution Geek naît avec le jeu Dungeons and Dragons en 1970. Ce jeu de rôle crée par Gary Gygax et Dave Arneson de chez TSR va permettre aux Geeks de s’évader dans des mondes imaginaires. Dungeons and Dragons va paver le chemin du jeu de figurine, qui lui même va ouvrir une porte vers le wargame, le jeu de plateau et les jeux vidéo.

Mais déjà à l’époque, les médias s’y attaquaient. Ils parlaient de pratique déviante et satanique.

Le jeu vidéo et l’informatique seront la seconde révolution Geek. En 1972, Nolan Bushnell va démocratiser le jeu vidéo avec Pong. Aux USA, l’Atari 2600 sort en 1977 et va révolutionner le marché du jeu vidéo. En 1980, Nintendo sort les fameux Game and Watch au japon. Big N prend le pouvoir avec sa Famicom en 1983 au moment du Crash d’Atari. La NES sortira en 1985. Vous connaissez tous la suite: Sega, Nintendo, Microsoft, Sony, SNK … La guerre va faire rage. C’est à cette époque qu’on commence à parler des Geeks japonais : les Otakus.

Grâce au jeu vidéo, les geeks vont pouvoir simuler le fictionnel et émuler le réel. Si ce loisir plait à tout le monde et rapproche les gens, on constate que les Geeks et les Nerds sont plus forts que les Jocks et les Hippies lorsqu’ils jouent à un jeu vidéo.

L’informatique et l’ordinateur domestique va propulser les geeks dans une autre dimension, grâce à la confrontation d’un Nerd et d’un Megaloman hippibobogeek. Ils feront exploser cette culture en révolutionnant le monde de l’informatique. Leurs noms: Bill Gates et Steve Jobs.

Dans les années 70, les geeks français avaient du mal à s’affirmer. La haute culture voyait d’un mauvais œil le fait de vouloir fuir la réalité. Il y a en France une culture prenante pesante et historique. Mise à part la politique ou les futilités à la mode, il était très mal vu d’avoir d’autres passions. Les geeks vivaient une sorte d’isolement culturel avant internet. Il fallait cacher sa geekitude et il se passait du temps avant de rencontrer des gens partageant les mêmes centres d’intérêt que vous. La situation s’est débloquée dans les années 2000. A titre d’exemple, je me souviens qu’au collège, les élèves se moquaient de moi car j’avais un classeur que j’avais décoré avec des Artwoks de Street Fighter 2 et de Fatal Fury.

En 1970, mis à part les Fanzines, il n’y avait aucun moyen d’avoir accès à certains medias.

Les premiers à avoir ouvert une brèche sont Jean-Pierre Dionnet et la maison d’édition Les Humanoïdes Associés avec le légendaire magazine Métal Hurlant !
Après le magazine Pilote, Dionnet nous offre une revue adulte, composée de bandes dessinées magnifiques avec quelques chefs-d’œuvres. Beaucoup de grands noms de la bande dessinée contemporaine ont fait leurs armes dans Métal Hurlant.

En 1977, les américains copient les français en sortant le magazine Heavy Metal !
Je vous conseille vivement de jeter un œil à quelques exemplaires de Métal Hurlant pour ne pas mourir idiot.

Star Wars sort en 1977. La scène d’ouverture avec le Star destroyer poursuivant le vaisseau Tantive IV de la princesse Leia va marquer toute une génération. Pour énormément de fans, Star Wars est une clé de voûte de la culture geek. Il faut remettre la sortie de ce film dans son contexte: c’était une œuvre originale qui n’était pas encore tombée dans le Mainstream.

Goldorak débarque en France en 1978 sur Antenne 2. Ce Shonen de Gō Nagai raconte comment le prince d’Euphor, Actarus va combattre les forces de Véga avec son robot de combat Goldorak (étant piloté, les geeks vous feront remarquer qu’il s’agit techniquement d’un mecha). Ce fut une véritable révolution pour les geeks français. Puis la violence de cette série commence à faire polémique. On commence déjà à montrer du doigt les œuvres japonaises.

En parallèle, Antenne 2 diffuse la même année Candy. Ce Shōjo raconte les aventures de Candy et Annie, deux orphelines qui vont vivre de « palpitantes » aventures (tout est relatif ).

En 1979, Antenne 2 diffuse le Tokusatsu San Ku Kaï ! Cette série raconte comment Ayato et sa bande vont combattre les Stressos dans un Space Opera kitsch.

Ces séries vont ouvrir une porte aux français vers la sous-culture japonaise.

En 1982, Tron sort dans les salles. C’est un film de science-fiction réalisé par Steven Lisberger. Complètement avant-gardiste, c’était la première œuvre cinématographique à utiliser des ordinateurs pour réaliser les effets spéciaux. Il fallait être complètement fou pour utiliser un supercalculateur Cray de 8 Mégaoctets sans souris, uniquement avec un clavier, en mode texte, pour essayer de réaliser une image numérique de qualité. Les programmeurs/animateurs ne pouvaient même pas voir le résultat sur un écran, car les machines ramaient pour obtenir une ligne de balayage à la fois. Il ne pouvaient voir les animations et les graphismes que lorsque les lignes de balayage étaient combinées au film. Seul des Geeks étaient capable d’un tel exploit.

La même année sort un autre film qui va devenir culte pour la communauté : Conan le Barbare de John Milius. Inspiré librement des récits de Robert E. Howard se déroulant dans l’âge hyborien, Arnold Schwarzenegger y incarne Conan, un jeune barbare qui cherche à venger la mort de ses parents, assassiné par Thulsa Doom. On pense que ce personnage est devenu culte pour les geeks masculins car il incarne tous le contraire d’un Geek: il est fort, personne ne l’emmerde et il choppe des gonzesses.

Dans les années 80-90′, il y avait toujours un geek qui faisait pitié dans les séries. Murray Bozinsky dans Riptide (1984), Screech (Samuel Powers) dans Sauvés par le gong (1989), Jerry Steiner dans Parker Lewis ne perd jamais (1990).

En 1984 sort le film comique Les tronches (Revenge of the Nerds) qui raconte comment des Nerds vont se faire justice.

En 1985, Steven Spielberg va mettre en scène quelques héros geeks dans le film Les Goonies. Ce sera un carton.

En 2006 sort sur Channel 4 la série anglaise The It Crowd. Cette série raconte les aventures de Moss, Roy et Jen . Mos et Roy sont des nerds qui travaillent au département informatique d’une grosse société Londonienne. Jen devient leur responsable, alors qu’elle n’y connait rien aux ordinateurs. Je vous laisse imaginer ce que va donner la confrontation entre ces trois personnages.  Pour en savoir plus, je vous invite à lire notre dossier sur cette série.

The Big Bang Theory (2007) est la première série à mettre en avant uniquement des geeks et des nerds. Cette série a eu un énorme succès, alors qu’elle utilise des codes propres aux geeks. Pour ces deux œuvres, on constate avec étonnement que le vrai geek va rire avec les personnages, alors que le spectateur mainstream va se moquer d’eux.

Le début des années 1990 marque la naissance du Web, avec ses pages en HTML composées de textes, de liens HTML, d’images, fonctionnant avec des adresses URL accessibles grâce au HTTP. Ces standards créés par Tim Berners-Lee et Robert Cailliau vont révolutionner le monde de l’informatique.

On ne parlera pas des daubes anecdotiques comme le manga pornographique Androïde paru dans la revue Mutant en 1985.

Si des animes comme Cobra et Dragon Ball sont devenus cultes aussi bien pour les geeks que pour le grand public, il y a un titre qui a su sortir son épingle du jeu et rester authentique : Akira.

Le manga débarque en France en 1990. Le film sera une véritable petite révolution dans la communauté Geek française. Je vous laisse lire notre dossier sur le sujet !

Une cabale sera lancée contre le manga à cette époque. L’hebdomadaire Télérama, inventeur du terme « japoniaiseries », la députée socialiste Ségolène Royal, l’ancien président du CSA Hervé Bourges et le Monde diplomatique vont s’attaquer violemment à ces œuvres et particulièrement au Club Dorothée.

Ils trouvent ça « nul, médiocre et laid » et comparent ça à de la pornographie pédophile. Pour Ségolène Royal, Bioman est « un sommet de sexisme cantonnant les personnages féminins dans les emplois de victimes ou de spectatrices affolées ». Tom Sawyer est une série de science-fiction. Pour elle, ces séries sont « des kilomètres de pellicule déversant la peur, le sang et les larmes ». Si, le seinen Ken le survivant n’avait effectivement pas sa place dans une émission pour enfants, elle oublie de souligner que ces animes parlent aussi du courage, de l’abnégation, de l’esprit de groupe, de l’amour …

Au cinéma, beaucoup de gens pensent que c’est Matrix (1999) qui a démocratisé les codes Geeks sur le grand écran en faisant tomber le film de genre dans le Mainstream. C’est faux. Le premier film a avoir défoncé le Box Office n’est autre que Blade (1998). Sans lui, il n’y aurait pas eu l’âge des Comic Books Movie (X-Men , Spider-Man, Batman Begins, The Punisher, Superman Returns…).

Il aura quand même fallu attendre 1999 pour avoir une adaptation digne de ce nom du Seigneur des Anneaux au cinéma. Peter Jackson va réussir à faire mieux que Ralph Bakshi avec son dessin animé. La trilogie Le Hobbit bouclera la boucle et fera tomber l’œuvre de Tolkien dans le Mainstream avec un troisième épisode décevant. Ce film marque la fin d’une époque pour les Geeks, les Otakus et les Nerds.

Et aujourd’hui ?

Internet a permis l’explosion de la culture geek. Les jeux en ligne massivement multi-joueurs réunissent les fans dans des mondes imaginaires. Les forums permettent la création de communautés discutant de sujets bien précis. On peut dire qu’il y a une démocratisation de la culture geek. Elle est la seule à couper toutes les distinctions sociales et réussit à réunir sous son étendard des gens venus de tous les milieux.

Ses partisans constituent un groupe intergénérationnel qui ne veut pas grandir. S’ensuit, les cibles initiales du mot « geek » ont fini par l’accepter et s’en parer, de la façon dont le mouvement des peintres « impressionnistes » a détourné cette insulte pour se désigner.

De nos jours, le geek est une personne qui dévore ce qui le passionne. Il ira au plus loin de sa passion pour essayer de maîtriser jusqu’au bout des doigts le moindre détail.

Il y a aussi des personnes qui se disent Geeks, mais qui ne sont en fait que des passionnés chics.

Pour les vieux de la vieille, un vrai geek restera quelqu’un doté d’une certaine forme d’intelligence. Pour avoir de la crédibilité à leurs yeux, il faut que les gens se soient moqués de vous parce que vous aviez une passion geek. Il faut que cette passion vienne d’un drame fondateur. Un choc qui vous aura propulsé vers des passions extrêmes.

Pour ma part, je pense qu’il ne faut pas porter de jugement et vivre sa vie. Et puis, nous ne sommes pas des Geeks ici, mais des Gangeeks !