À l’occasion de la sortie française du « très attendu » bouquin de Read-only Memory sur la Megadrive (prévu pour Novembre dans nos contrées), Gangeekstyle s’est intéressé à J’m Destroy, responsable de Geek Lines, la boite d’édition à l’origine du livre Anthologie Nintendo 64 que nous vous avions présenté il y a peu (voir ici).
Êtes-vous fan de Super Power, Mega Force ou de Joypad? Avez-vous été, comme moi, marqué par les écrits de J’m Destroy? Et bien sachez que nous devons tous ça à Jean-Marc Demoly, un journaliste de génie qui a énormément écrit pour le secteur du jeu vidéo. N’hésitez pas à jeter un œil à sa page facebook.
Ivankaiser : Peux-tu te présenter pour les petits jeunes susceptibles de lire cet article ?
Bonjour, je suis Jean-Marc Demoly, j’ai signé une bonne quantité d’articles sur les jeux vidéo dans bon nombre de magazines spécialisés : Joystick, Joypad, Mega Force, Super Power et Playmag sous le pseudonyme de J’m Destroy. J’ai également été rédacteur en chef de plusieurs d’entre eux, puis directeur des rédactions. Par la suite j’ai créé mon propre titre au début des années 2000, avec Loading qui a connu un bon succès lors de son lancement pour disparaître trois ans après sa création.
Ivankaiser : Quel a été ton parcours professionnel avant l’aventure Super Power ?
Alors que j’étais en Première, j’ai commencé à écrire des articles, notamment des critiques de jeux pour le Magazine Micro News, j’étais à l’époque à fond sur l’Atari ST et j’ai eu l’opportunité de remplacer un ami qui était parti à l’armée en Schleumanie. Avec le rédacteur en chef adjoint de l’époque, Cyril Baron, qui a ensuite officié à Joystick sous le pseudo de Moulinex, nous rédigions la rubrique Prof ST contre Doc Amiga. Cette rubrique est à mon sens culte, car elle est à l’origine de nombreuses autres rubriques ou de hors séries qui ont vu le jour par la suite, notamment les fameux « Guerre des Consoles ». Alors que je m’éclatais à MegaForce tout en continuant mes études, j’ai été contacté par Marc Andersen, le patron de Joystick à l’époque où le magazine n’était encore qu’hebdomadaire. J’ai donc collaboré au premier numéro de la version mensuelle. Marc était un patron incroyable, qui réfléchissait à une vitesse foudroyante et quand on avait une idée en laquelle il croyait, il suffisait de demander pour obtenir ce que l’on souhaitait. En 1992, nous avons décidé de créer Super Power, peu de temps après Megaforce, puis Playmag. J’étais en charge de ces trois titres. Une époque formidable! Je me rappelle une anecdote qui serait impossible aujourd’hui. Alors que Playstation Magazine, l’organe officiel de Sony disposait d’un Cd de démo à tous les numéros, nous ne pouvions pas le faire. À force de tanner tous les éditeurs, je suis finalement parvenu à obtenir un CD de démo pour Playmag, mais qu’il fallait payer de suite. Je suis donc aller voir Marc Andersen, lui ai demandé un chèque de plus de 450 000 francs, il a sorti le chéquier de son tiroir, l’a rempli, me l’a tendu et me l’a donné pour que j’aille le remettre en main propre à l’éditeur en échange de la facture. Un truc inimaginable aujourd’hui où tout est planifié, forecasté, budgété…
Obowser : Super Power apparaît en Juillet 92 dans un contexte de rivalité féroce entre Nintendo et Sega. Quelle était votre ligne éditoriale vis-à-vis de cette guerre commerciale ?
Nous avions un magazine dédié à Nintendo, nous ne nous occupions donc pas de Sega. La Super Nintendo était une excellente machine, avec une pléiade de titres hallucinants. Évidemment, comme nous étions tous passionnés, nous jouions également sur Megadrive, mais dans le magazine nous ne faisions pas référence à la machine de Sega et encore moins de comparaisons.
Obowser : Votre publication était indépendante, ce qui plaidait pour une impartialité de son contenu. Quelle était la nature de vos rapports avec Nintendo et Bandaï ? Rencontriez-vous des difficultés particulières?
Lorsqu’il s’agissait d’avoir un plus produit, nous n’étions évidemment pas privilégiés. Les cassettes vidéo de démo par exemple, notamment celles de la Nintendo 64, allaient en priorité dans l’organe officiel. Mise à part deux ou trois exclus de temps en temps qui ne nous étaient pas destinées, nous étions tout à fait bien traités par Nintendo ou par Bandaï.
Ivankaiser : Aviez-vous l’impression de faire la pluie et le beau temps au niveau des ventes, grâce à vos notes ? Certains éditeurs ou studios essayaient-t-ils de vous soudoyer pour avoir de bonnes notes ?
À l’époque, j’étais très jeune et je ne me rendais pas vraiment compte du poids qu’un magazine pouvait représenter. Je n’avais qu’une idée très partielle de l’économie du jeu vidéo et je pense sincèrement que le fait de ne pas en avoir eu conscience au quotidien était un plus. Je me battais pour avoir des exclus, des news, des infos et souvent ce travail était récompensé par des ventes en progression. Et oui, à l’époque, le travail payait. Il était tout à fait possible de contacter les développeurs directement, sans avoir à passer par l’attaché de presse de l’éditeur qui lui-même devait avoir l’autorisation du Directeur du Marketing, etc… Je ne sais pas si on peut parler de soudoiement, mais dans les années 1990 de nombreux voyages de presse étaient organisés pour suivre le développement de certains jeux, il n’y avait pas une semaine sans qu’un membre de l’équipe ne soit en déplacement. Ajoutons également que dans une très grande majorité, les éditeurs jouaient le jeu des critiques.
Ivankaiser : Je fais appel à ta mémoire ! Peux-tu nous parler de votre test du jeu Shaq Fu, ? Vous aviez vraiment aimé, ou c’était juste pour aider l’équipe française de Paul Cuisset à vendre le jeu ?
Je me souviens qu’à l’époque, nous avions eu une grande pression de l’éditeur pour ce titre, mais ce phénomène était très marginal. J’imagine que compte tenu de la licence et du nom « Shaquille O’Neal » les enjeux mondiaux devaient être extrêmement importants. Paul Cuisset n’avait rien voir avec tout cela, lui, il avait fait son boulot.
Obowser : Quelles étaient vos relations avec les autres rédactions du secteur, en particulier avec celle de Nintendo Player, qui était le magazine officiel? Y avait-il de la rivalité ?
Tout dépend des rédacteurs. Certains étaient plutôt cools, d’autres moins. Cela dit, on pouvait dire la même chose de moi. Les goûts et les couleurs, les amitiés, les atomes crochus ne se discutent pas. Pour ma part, j’ai toujours été à fond dans ce que je faisais, du coup je n’aimais pas vraiment lorsque je me faisais doubler, heureusement ce n’est pas arrivé souvent. Pour répondre plus précisément, Nintendo Player étant un mag officiel, il ne pouvait pas parler des jeux d’import, du coup les infos non françaises étaient souvent obsolètes, ce qui n’était pas le cas de Super Power.
Ivankaiser : Comment se passait la réalisation des Previews des jeux ? Vous faisiez vous-même les démarches pour trouver les informations ? Vous receviez un dossier avec photo etc… pour mettre dans votre magazine ? Vous vous serviez de l’import pour préparer cette rubrique ? Toutes les sources d’information étaient les bienvenues. Il n’y avait pas de standard. L’idéal était évidemment d’obtenir la ROM de la part du studio de développement ou de l’éditeur. Il était aussi possible de voir et de jouer au jeu directement lors d’un déplacement ou d’une présentation. La presse étrangère, notamment japonaise nous étaient également fort utile, avant que nous ayons des correspondants étrangers.
Obowser : Est-ce qu’on peut considérer Super Power comme une adaptation officieuse du Nintendo Power américain?
Absolument pas.
Obowser : L’existence de Super Power est fortement liée au succès de la Super Nintendo, qui connaît un fort regain d’intérêt ces dernières années chez les retrogamers et les collectionneurs. Selon vous, qu’est-ce qui fait que cette machine soit devenue aussi mythique ?
Je ne pense pas que la Super Nintendo soit plus mythique que la NES, la Nintendo 64, la Megadrive ou la Neo Geo. Au même titre que l’on aime écouter les hits de musique de sa jeunesse, on aime rejouer aux machines qui nous ont fait tant plaisir et avec lesquelles on a passé tant de bons moments.
Obowser : Quel est l’origine de Sumo, la mascotte du magazine ?
Le nom de la société éditrice de Super Power était Sumo édition, le nom de Sumo pour désigner le rédacteur en chef vient de là.
Obowser : Beaucoup de lecteurs ont été marqués par le numéro 14 soit disant piraté par SEGA (N.B : la couverture était frappée d’un inattendu logo Canal Sega). Pouvez-vous nous en dire plus ?
Je crois qu’il s’agissait d’une opération de promo de Sega. C’était de la pub tout simplement.
Obowser : L’élaboration des plans d’un jeu devait être extrêmement fastidieuse à l’époque. Comment procédiez-vous ?
On disposait d’une imprimante thermique Sony qui permettait de prendre des captures d’écran. Une fois les captures d’un niveau complet réalisées, on les assemblait en les collant pour recréer sur « feuille » le niveau pour lequel nous souhaitions avoir le détail.
Obowser : Il est de bon ton aujourd’hui de dénigrer le dilettantisme et le ton potache des magazines de l’époque. Que répondez-vous à ces détracteurs?
Pour ma part, je n’ai aucune envie de lire une critique d’un jeu vidéo et ce depuis longtemps. Les textes sont normés, stéréotypés, sans vie, sans âme. Ils sont peut être plus précis, mais dans leur majorité ils restent fades et sans saveur. Si je voulais être méchant, j’ai parfois l’impression de lire une notice !
Kementari : Tu as bossé pour pas mal de magazines dans les années d’essor du JV, Megaforce, Super Power, Loading, Joystick et bien d’autres. L’an dernier, on a assisté à la mort de la quasi totalité de la presse vidéoludique. Peux-tu nous donner ton avis sur ce qui s’est passé ?
Ce que je pourrais dire ne sera pas révolutionnaire, et je répondrai à cette question par une autre question. Pourquoi voulez-vous dépenser de l’argent dans un magazine dont l’information est obsolète par rapport à n’importe quel site et qui n’apporte hormis le format papier aucun « plus » ?
Obowser : Que pensez-vous du renouveau actuel de la presse jeux vidéo avec des titres comme JV, the Game, Games ou le retour de Generation 4? S’agit-il d’un feu de paille ?Pour ma part, je n’en ai lu aucun. Je ne peux donc pas juger.
Kementari : Penses-tu que ces magazines vont pouvoir se faire une place pérenne face à la multiplication des blogs sur le net ? Je ne connais pas exactement le modèle économique de ces magazines, je ne peux donc une fois de plus me prononcer.
Ivankaiser : Quel a été ton parcours après l’aventure Super Power ?
Après Super Power, j’ai été directeur des rédactions de Cyber Press, je dirigeais donc plusieurs titres dont les Bibles, Megaforce, Playmag. J’ai été aussi à l’origine de nombreux guides stratégiques de jeux vidéo, en prenant la direction de la filiale française de Prima Games. Ensuite, j’ai créé ma boite.
Kementari : Récemment est sortie l’Anthologie 64, comment est né ce projet ?
L’idée vient de Mathieu Manent, l’auteur du livre. De mon côté, j’avais une boite de distribution de figurines et de produits dérivés. Compte tenu de mes relations, de ma connaissance de l’édition et de la presse, il n’a pas été difficile de s’entendre et de transformer son projet en réalité.
Ivankaiser : D’ailleurs, après la bible N64, pourquoi ne pas faire une vraie bible Super Nintendo faisant honneur à la console ? Même s’il y a la pseudo bible Pix’n Love, je pense que ça pourrait marcher.
Pix a été le premier éditeur à se lancer sur le retrogaming et nous devons les en remercier. Le fait que les dirigeants n’aient pas de formations particulières en édition, que Florent Gorges, l’un des trois créateurs de Pix’n Love qui était l’âme de la boite, soit parti il y a plus de deux ans leur a également grandement porté préjudice. Je dirais que Pix s’est endormi sur ses lauriers d’autant que le pilier n’est plus là. En ce qui concerne la Bible Super Nintendo, si le contenu est décevant, le contenant lui est superbe. Si nous devions réaliser une bible Super Nintendo, nous ferions évidemment différemment en abordant plus de sujets, en réalisant plus d’interviews, en traitant les rubriques plus en profondeur, en pensant plus au côté collectionneur, mais au final même en accordant une place plus importante à la logithèque, le cœur même de l’ouvrage ne serait pas fondamentalement différent. Est-ce qu’économiquement éditer une Anthologie Super Nintendo, alors qu’une Bible est déjà sur le marché peut être viable. Il est à mon sens prématuré de se prononcer.
Nous te remercions d’avoir répondu à nos questions et te souhaitons bon courage pour la suite!
10 commentaires
Polop !!
Merci pour cette plongée dans le milieu impitoyable de la presse des années 90^^ Un monument franco-français qu’est ce J’m Destroy ! Bon je retourne à mes Super Power maintenant moi…
Super power, rhaaaa… Toute mon adolescence vidéo ludique dans ce magazine!
Après un fulgurant et marquant passage de la nes dans ma vie ( 6 mois, 15 jeux finis, avant que les parents ne s’en débarrassent ), ce magazine à été mon seul lien avec le jeu vidéo pendant des années ( jusqu à ma première paye d’étudiant, bien dépensée dans une game boy pocket ).
Le numéro 14 suscité m’a aussi marqué parce que c’est le seul moment où j’ai cédé au crime.
J’ai piqué la planche d’autocollants qu’il y avait au milieu du magazine, dans la librairie.
Ce fut ma plus grande honte pendant des années 🙂
J.M j’adore le gris de tes cheveux ^^
Et merci pour toutes ces piges qui ont fait ma joie pendant des années
Une partie de ma jeunesse ! Bravo pour l’article
Merci pour cette interview de qualité avec une des figures de la presse jv de mon enfance, le test de Flying Hero de JM dans le Joypad 17 ( ça ne nous rajeunit pas) reste encore un monument de porte nawak.
Mon héro! Mon mag favori!
Merci pour cet interview!
AHL, JMD, les stars incontestables et qui manquent cruellement dans le politiquement correct
Et la main mise des Majors du Game sur la presse
Qui nous vend des beaux graphismes avec du gameplay de merde depuis 15 ans
Merci pour cet article !
Merci les mecs (la fille aussi) pour cet article et à JM d’avoir accordé un peu de ton temps 😉
Si tu n’as rien contre le fait d’en partager encore un peu, j’ai une question pour laquelle tu es une des personnes les mieux placées afin d’y répondre:
je collectionne divers magazines d’époque et tente entre autre de réunir l’intégralité des Mega Force à laquelle il me manque 3 numéros + 1 hors-série. Ces derniers sont normalement au nombre de 8 mais je suis tombé sur une vente terminée d’Ebay il y a quelques mois dont l’annonce portait sur un magazine Playmag « Spécial PlayStation » classifié en tant que hors-série Mega Force n°10.
Aurais-tu des informations à ce propos stp?
Est-ce un n° officiel (ainsi que le 9?) ou non?
D’avance merci 😉
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Il a l’air très con ce garçon