« L’histoire de Mario », tout un programme pour les fans de la mascotte de Nintendo ! Mais justement, Mario n’a pas toujours été cette mascotte adulée et ce livre, qui s’intéresse en détail à la période 1981-1991 nous fait découvrir les mécanismes qui ont fait du plombier le héros qu’on connaît aujourd’hui. Pourtant, Mario ou Mr Video ou Jumpman, peu importe son nom, n’était à la base qu’un faire-valoir du charismatique Donkey Kong…
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L’ouvrage est au format A5 et comporte 426 pages. Le texte est divisé en 15 chapitres. La couverture est rouge et souple, avec un mix de mat et de brillant, le titre est pixelisé, des personnages semblent se balader sur la couverture : Mario, Pacman et un fantôme, Popeye, Mickey et Lady, la petite amie de Mario dans le jeu d’arcade Donkey Kong. C’est à la fois sobre et efficace car ça nous donne les grandes lignes de ce qui sera traité dans l’ouvrage.
Contenu
Après une préface de Florent Gorges, William Audureau nous fait un état des lieux du jeu vidéo à l’orée des années 80. La mode est au shoot’em up. La jeune filiale Nintendo of America tente alors de surfer sur cette vague et propose sa borne Radar Scope, sans se douter que cet échec sera le point de départ à la création du héros de jeu vidéo le plus connu de toute l’histoire des jeux vidéo.
Le premier chapitre fait état de la demande de Nintendo of America à la maison-mère japonaise d’une carte de jeu capable de prendre la place de la carte-mère de Radar Scope dans les bornes non vendues entreposées dans un entrepôt couteux aux Etats-Unis. Yamauchi, président de Nintendo au Japon charge donc Gunpei Yokoi, le superviseur de la division R&D 1 de ce sauvetage. Ce dernier s’appuiera sur le jeune Miyamoto, qui travaillera d’abord sur un projet de jeu Popeye : les bases du jeu qui se transformera en Donkey Kong sont posées ! En effet, Nintendo n’a pas les droits pour sortir le jeu avec les personnages issus de l’univers de Popeye et donc Miyamoto est chargé de dessiner ses propres personnages.
Le chapitre 2 revient sur cette recherche de nouveaux personnages à intégrer au jeu d’escalade. Miyamoto souhaite préserver les différents rapports entre le trio de personnages. Brutus est alors remplacé par Donkey Kong, une créature inspirée par King Kong pour le côté brutal et par la Belle et la Bête pour le côté créature rejetée par une femme séduisante. Olive devient Pauline et Popeye se transforme en Little Mario. L’inspiration du jeu d’arcade Crazy Climber se fait sentir. Le jeu est conçu pour le public américain, les personnages sont donc adaptés au morphotype américain : brun, moustachu, bedonnant… On découvre comment les limitations techniques de l’époque ont façonné l’apparence de Mario : la casquette pour réduire l’animation de la chevelure, le gros nez et la moustache pour éviter les animations de bouche, la salopette et les grands pour détacher les mouvements par exemple.
Le chapitre 3 nous raconte le premier âge d’or de Nintendo, avec la mise sur le marché de la borne Donkey Kong. William Audureau revient sur le timing opportun de ce jeu novateur se démarquant largement de la concurrence, le public commençant a en avoir marre des shoots spatiaux. Donkey Kong surfe sur le succès de Pacman. Ce qui est intéressant, ce sont les éléments déclencheurs du succès de Donkey Kong car celui-ci ne se fit pas connaître en un jour, Nintendo, rappelons-le, n’est pas un acteur majeur de la scène vidéoludique à l’époque. C’est donc par le bouche à oreille que Donkey Kong se fait d’abord connaitre, puis par les critiques positives des médias. Et quand quelque chose fonctionne bien, on le décline jusqu’à la moelle, il y a donc rapidement une suite en version portable (Game & Watch) et cartouche (sur Colecovision, Atari2600 et Intellivision), ainsi que de nombreuses copies, c’est l’émergence des Kong Games. C’est à ce moment que Nintendo décide de concevoir ET programmer en interne ses futurs jeux pour éviter tout souci juridique car les histoires de droits, de propriétés intellectuelles ou de code source sont un peu floues à l’époque.
Le chapitre 4 est vraiment très prenant ! Intitulé Kong Versus Kong, l’auteur nous propose de revenir sur la popularité de Donkey Kong, très régulièrement comparé à King Kong par les médias notamment. Universal attaque Nintendo en justice pour utilisation sans licence de son personnage King Kong, en avril 1982. Finalement, Universal perdra le procès car le personnage de King Kong appartient au domaine public. Mais entre-temps, Nintendo a choisi de changer de fusil d’épaule et de mettre en lumière son autre personnage, pour le moment resté dans l’ombre du gorille, Mario, qui lui, appartient incontestablement à Nintendo, afin d’éviter d’autres litiges.
Le chapitre 5 réhabilite Mario dans ses fonctions de héros : il apparaît sous forme de caméo dans de nombreux jeux, apparaissant même dans des jeux non développés par son créateur Miyamoto. Le personnage de Luigi est introduit début 1983 dans le Game & Watch Mario Bros. Mario devient enfin le référant !
Le chapitre 6 revient sur la crise de 82 à 84. A cette époque, le succès florissant de l’industrie vidéoludique se tarit d’un coup, les gens se désintéressent rapidement des jeux vidéo, la faute à un recyclage et à la copie à outrance des vieux jeux. Mais c’est aussi une mauvaise image des jeux vidéo qui circule après des adaptations de jeux mal programmés comme le portage Atari 2600 de Pacman ou E.T. l’extraterrestre sur la même machine (Merci Atari !). Même Nintendo décline ses succès arcade sur console de salon ou portable. Et ça, ça fâche ! De plus, les salles d’arcade commencent à manquer de place pour les nouveautés et ne peuvent suivre le rythme. Nintendo trouvera une solution. Plutôt que de vendre des cabines complètes, elle développe un pack permettant de remplacer ses jeux vieillissant, Popeye et Donkey Kong, par un nouveau jeu, Mario Bros, à moindre coût. Le jeu ne fera pas l’unanimité à sa sortie en arcade, mais la sauce prendra sur console, avec une adaptation sur de nombreuses machines (Atari=2600, Intellevision, Colecovision…).
Le chapitre 7 est lui aussi passionnant. On nous conte la naissance du projet Mario Adventure. En effet, suite à la crise de 82-84; Yamauchi, le président de Nintendo est convaincu qu’il faut proposer des jeux de qualité sur sa Famicom. Ainsi sont passés en revue les précurseurs du genre : Pitfall (Activision, 1982); Jungle Hunt (Taito, 1982), Smurf Rescue in Gargamel (Colecoviion, 1982), Bobby is Going Home (CCE, 1983). On apprend également que la présence de Mario comme personnage principal de ce jeu d’aventure incombe à Takashi Tezuka, et non à Miyamoto comme on pourrait le penser.
Le chapitre 8 rapproche l’univers imaginaire absurde et loufoque de Mario à celui d’Alice au Pays des merveilles mais également au roman chinois « L’épopée du Roi Singe » de Wu Cheng, en passant par d’autres contes traditionnels comme Jacques et le haricot magique en ce qui concerne l’inspiration. C’est dans ce chapitre qu’on apprend que les noms des personnages composant le bestiaire de Mario sont inspirés de nom de nourriture coréenne.
Le chapitre 9 nous rappelle ou nous fait découvrir l’énigme du Minus World, ce niveau aquatique jugé trop difficile rendu artificiellement non accessible et pourtant accessible par une exploitation de bug. Cela nous permet de comprendre comment le jeu a été initialement conçu, avant un réagencement des niveaux pour mettre les éléments les + simples en premier, fonctionnant comme tutoriel au jeu. De même, on découvre comment certains tronçons ont été réutilisés plusieurs fois à l’identique pour accroître la durée de vie, en augmentant simplement le nombre d’ennemis pour corser la difficulté. Malin !
Le chapitre 10 revient sur le choix de la mascotte entre Link et Mario. Suite au succès de Super Mario Bros, pourtant lancé dans la discrétion, le bouche à bouche fait le boulot au Japon. Mario et Luigi sont intégrés dans le menu de lancement du Famicom Disk System. Dès 1987, Mario apparait dans les pubs Nintendo au Japon. Pour la commercialisation de la Nes aux États-Unis, Super Mario Bros est vendu en pack avec la console.. L’image de Mario est également associée à des événements caritatifs.
Le chapitre 11 nous parle de la suite de Super Mario Bros au Japon. L’équipe de Miyamoto doit alors terminer Zelda et propose pour la suite de Super Mario Bros un recyclage de niveaux et de musiques ainsi que l’exploitation d’idées non réalisées dans le premier opus. Le résultat sera un jeu plus élitiste, qui ne connaîtra pas de sortie occidentale sous le titre Super Mario Bros 2, jugé trop difficile !
Le chapitre 12 revient donc sur le Super Mario Bros 2 connu sur notre territoire, qui est en fait un recyclage du jeu Yume Kôjô Doki Doki paru au Japon, afin de prendre en compte les attentes occidentales.
Le chapitre 13 nous parle de Super Mario Land sur Game Boy, développé par la R&D1 de Gunpei Yokoi.
Le chapitre 14 nous apporte des éléments sur la création des univers thématiques découpés en carte de Mario World, à la manière d’un parc Disneyland. L’auteur nous parle de l’inspiration probable d’Altered Beast pour les transformations en créature hybride de Mario et nous rappelle l’influence de la culture japonaise sur l’utilisation du costume tanuki. Super Mario World est un véritable ambassadeur de la Super Nintendo en reprenant les couleurs des différents boutons de la manette. L’idée de la monture Yoshi est enfin exploitée. On retrouve la encore l’influence de la nourriture pour des noms de l’univers : Chocolate Iisland, Cheese Bridge, Vanilla Dome.
Le chapitre 15 revient sur les années 89-91 correspondant à l’âge d’or de Mario. C’est devenu une véritable mascotte pour la firme. SMB 3 est un véritable succès, SMW est considéré par beaucoup comme le meilleur jeu de tous les temps. SMB est présenté (à tort d’ailleurs) comme fondateur du genre des jeux de plateforme. Il y a même une apparition au cinéma en 1989 dans le film Video Games Kid, où l’on peut apercevoir le premier niveau du jeu SMB3 en entier alors que le jeu n’est pas encore sorti aux US, un bon coup de pub gratuite pour le jeu. Enfin, on termine par l’adaptation en 1993 du film Super Mario Bros : The Movie. D’ailleurs, l’épilogue essaiera de comprendre les raisons de l’échec cuisant de ce film.
Approche de l’histoire de Mario
L’histoire de Mario livrée par William Audureau se consomme comme un bon repas, à la fin, on est repus et on a passé un bon moment. L’approche est méthodologique, les sujets sont abordés par thématique plutôt qu’en ordre chronologique strict, même si l’ouvrage en lui-même est construit chronologiquement. Le texte est parfois accompagné de tableaux ou d’images en noir et blanc, ce qui permet d’égayer un peu la lecture. Certes, on aurait sûrement apprécié plus de visuels et en couleur, mais comme dans tout ouvrage sur les jeux vidéo, il y a des règles ennuyeuses à respecter pour éviter de devoir payer des droits à l’image et une histoire de coût.
William Audureau se réfère à de nombreuses interviews ou ouvrages sur l’histoire de Mario. Toute citation est bien référencée, ce qui donne à son livre une véritable aura de documentaire historique sur Mario, même sans avoir l’aval de Nintendo. D’ailleurs, à la fin de l’ouvrage, l’auteur nous en apprend un peu plus sur son cheminement et le pourquoi de ce choix.
Conclusion
William Audureau est un habitué des livres passionnants. Il nous a plus récemment mitonné un formidable ouvrage sur Miyamoto. Sur les 15 chapitres que compte « l’histoire de Mario », les trois quarts ont été véritablement passionnants à lire : la genèse du jeu Donkey Kong, qui n’aurait peut être pas vu le jour si la borne Radar Scope avait été bien accueillie aux US, le placement du plombier dans les différents jeux de Nintendo, les secrets de la sagas Super Mario Bros… J’ai un peu moins bien aimé les derniers chapitres, sur Super Mario World et sur le film Super Mario Bros : The Movie notamment, bien qu’ils nous apprennent énormément de choses sur ces sujets.
Le travail de recherche effectué a été considérable pour la rédaction de cet ouvrage. Tout est bien détaillé. Je pense que l’auteur a eu raison de se concentrer sur les 10 premières années d’existence de Mario, les plus percutantes du personnage et finalement, celles qui l’ont façonné. Le volume 2, intitulé « La guerre des mascottes – l’histoire de Mario Vol.2 : 1990-1995 » est sorti en 2016 et retrace la suite des aventures de Mario, qui n’est désormais plus seul sur le devant de la scène vidéoludique.
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Pour quiconque s'intéresse un tant soit peu à la genèse de Mario, ce personnage devenue en quelques années la mascotte incontournable de Nintendo !
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Contenu9
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Prix9