Êtes-vous fan de Mister Nutz, Shaq Fu où de Fade to Black? Avez-vous été, comme moi, marqué par la musique de Mister Nutz? Et bien sachez qu’elle a été composée par Raphaël Gesqua, un compositeur freelance de génie qui a composé énormément de tueries dans le domaine du jeu vidéo et, depuis quelques temps, dans le cinéma.
Vous pouvez retrouver toutes sont actualités sur son site ou sur sa page facebook.
Aujourd’hui il nous raconte son parcours et partage avec nous sa passion pour la musique. L’équipe de GGS tenait à le remercier pour sa participation et sa gentillesse.
Peux-tu te présenter pour les gens qui ne te connaissent pas?
– Je suis compositeur et sound designer dans le milieu du jeu vidéo depuis 1991, et compositeur pour le cinéma depuis 2010 (après quelques courts-métrages de 2003 à 2010).
Quelle a été ta formation pour devenir musicien dans le domaine du jeu vidéo?
– La vie, tout simplement. J’ai tout appris seul, et je continue chaque jour à en apprendre davantage.
N’as-tu pas appris le solfège?
Non, je ne connais pas le solfège, je suis autodidacte, et je ne travaille toujours qu’à l’oreille.
Comment as-tu réussi à percer dans ce domaine?
– Je n’ai jamais tenté de « percer » dans le domaine, car je ne comptais pas faire de la musique mon métier, à l’origine. Tout a commencé, en fait, par ma passion de toujours pour les jeux vidéo et le cinéma. Dans les années 80, je m’amusais déjà à composer des musiques sur les ordinateurs 8 bits tels que l’Amstrad. A l’époque, il fallait réellement programmer, pour composer, car il n’existait aucun outil musical. Ensuite les machines se sont perfectionnées, et quand l’Amiga de Commodore est arrivé, ce fut le choc sonore et le déclic qui me poussa malgré moi à devenir compositeur professionnel, après avoir sévi avec succès dans le monde de la « demoscene » sous le pseudonyme « Audiomonster ».
Malgré moi, en effet, car en dépit du coup de boost provoqué par l’excellent accueil que me réservèrent les membres de la communauté internationale de ladite demoscene, je n’avais toujours pas, à cette époque, imaginé faire de la musique mon métier, probablement par manque de foi en mon travail.
Je demeurais un dingue de jeux vidéo, cela dit, et il m’arrivait même de sécher les cours, au collège et lycée, pour pouvoir passer du temps sur de fabuleux jeux d’aventures tels que « Les Voyageurs du Temps », « Operation Stealth », « Croisière pour un Cadavre » etc.
Or, un ami qui ne cessait de me répéter que j’avais du talent à revendre et que je devais donc entreprendre les démarches nécessaires pour transformer ma passion en métier, me dit un jour : « Puisque tu ne veux pas aller voir les éditeurs et leur présenter ton travail, j’irai le faire à ta place ! »
Il ne se fit pas attendre, et quelques temps plus tard, j’étais contacté par Océan et…Paul Cuisset, de Delphine Software International, le concepteur des jeux que j’ai cité un peu plus haut ! Inutile de dire quelle fut ma surprise et ma joie d’être sollicité par la société qui m’avait tant fait rêver, en tant que gamer. Un rêve qui devenait réalité.
Vu que tu es un ancien, peux-tu nous expliquer les différences au niveau du boulot entre maintenant et l’époque où il fallait « programmer » la musique?
– Aujourd’hui, la musique de jeux vidéo n’a plus aucune limite technique, il y a déjà longtemps que l’orchestre symphonique s’y est même relativement banalisé.
Par le passé, lorsqu’on composait une musique de jeu vidéo, il fallait tenir compte, pour un même titre, de tous les supports sur lesquels il était prévu qu’il sorte, car il était impossible de jouer une piste audio, même MP3, par manque de mémoire. Or, chaque machine ayant sa propre architecture sonore, il fallait retravailler chaque version individuellement.
Sur la Megadrive de Sega, par exemple, on n’utilisait quasiment pas de samples, sauf éventuellement pour les percussions. Pour tous les autres instruments, nous devions utiliser le chip sonore de la machine, qui bénéficiait de synthèse FM 6 canaux (ou 5+1 en PCM 8 bits si on utilisait du sample) + 4 autres canaux à la sonorité proche d’une Master System. Au final, cela faisait un mélange de sonorité sur 10 canaux assez intéressant.
Sur la Super Famicom, en revanche, pas de synthèse FM : on utilisait du sample 16 bits sur 8 canaux stéréo (avec possibilité de réverbe, filtre etc) qui permettait donc d’obtenir plus de réalisme sonore, mais était coûteux en mémoire, si l’on souhaitait vraiment obtenir un excellent rendu.
Sur les PC, il fallait gérer toutes les cartes sonores du marché, en sachant que chaque possesseur d’un PC avait une carte sonore différente. On exploitait donc au maximum la norme « General Midi », tout en retravaillant malgré tout le son en fonction de chacune des plus « importantes » cartes sonores du marché, comme par exemple, la « Sound Blaster AWE32″, l' »Ad-Lib », ou bien encore la « Gravis Ultra-Sound », qui était la Rolls des cartes sonores, au milieu des années 90…
As-tu été tenté de passer à un autre poste dans la conception d’un jeu vidéo?
L’idée de concevoir un jeu vidéo m’a plusieurs fois traversé l’esprit, en effet. D’ailleurs, j’en concevais modestement quelques uns, dans ma chambre, durant les années 80, sur machines 8 bits. J’avais aussi un assez gros concept de jeux d’aventure/action qui failli être lancé, au début des années 2000, via la défunte société « Nemosoft », dont j’étais le directeur sonore, après l’avoir été à Delphine Software. Qui sait, je le ressortirai peut-être un jour de mes tiroirs.
Je suis un grand fan de ton travail sur Mister Nutz? Peux-tu nous expliquer comment c’est passé la conception de la musique sur ce jeu?
-Merci!
Il faut savoir qu’au départ, « Mr.Nutz » a été conçu sur Amiga, tout comme ses musiques, composées en 4 voix sur « Protracker » (le logiciel que j’utilisais dans le milieu de la « demoscene » sous le pseudonyme de « Audiomonster »). Ce n’est qu’en fin de développement que la décision fut prise par Ocean Software de finalement porter le jeu sur Super Nintendo. Il fallut donc convertir les musiques de l’Amiga à la machine de Nintendo, ce qui ne fut pas une mince affaire, car à cette époque, et d’autant plus dans cette équipe réduite (3 personnes, moi y compris), nous ne disposions d’aucun outil de composition musicale, Nintendo nous laissant nous débrouiller. Il fallut alors que le programmeur trouve un moyen de convertir les musiques, ce qu’il fit, mais cela impliqua d’énormes contraintes : je ne pouvais pas transférer mes samples de l’Amiga à la Super Nintendo, uniquement les patterns (la partition). Par conséquent, je dus utiliser une banque imposée « équivalente » de sons (flûte, trompette, etc) qui plus est sans pouvoir utiliser d’effets de vibrato ni de « tone portamento » (passer d’une note à la suivante sans rejouer l’attaque), ce qui nuit gravement au rendu final, en comparaison de la version originelle sur Amiga. Heureusement pour moi, cela n’empêcha pas le public et la critique d’apprécier mon travail, bien au contraire!
Par contre, il faut bien préciser que s’il exista ensuite un « Mr.Nutz » sur Amiga, il ne s’agissait aucunement d’un vrai jeu utilisant le personnage. Simplement, devant le succès de « Mr.Nutz » sur Super Nintendo et Megadrive (au point qu’il fut en rupture de stock en quelques jours), Ocean décida d’utiliser cette nouvelle mascotte à succès dans une « suite », en remplaçant au dernier moment le personnage d’un autre jeu en développement chez un autre studio (Neon) sur Amiga, par le personnage de « Mr.Nutz »…Cela donna « Mr.Nutz: Hoppin’Mad », qui ne fut pas un mauvais jeu, bien au contraire, mais n’eut rien en commun avec le personnage et l’univers, et devint simplement une opération marketing bête et facile.
Aujourd’hui tu fais pas mal d’OST pour des films? Comment se passe la conception? C’est un peu pareil que dans le jeu vidéo?
C’est à la fois pareil et très différent. Aujourd’hui, la musique de jeux vidéo n’a plus de limites techniques, contrairement à l’époque où j’ai commencé ma carrière, il y a près de 25 ans. A cette époque, comme je te l’ai dit, il fallait gérer tous les formats sonores des consoles de jeux, des micro-ordinateurs, et des cartes sonores des PC, ce qui m’amenait souvent à réaliser plusieurs fois la même musique avec des banques, des instruments différents. Il n’y avait que très peu de mémoire pour le son, et il fallait utiliser le processeur sonore de chaque support, une sorte de mini-synthétiseur, en somme…
Aujourd’hui, je dirais que la seule différence entre musique de jeux vidéo et de films réside dans le fait qu’il n’existe aucune interactivité musicale, au cinéma, tout y est linéaire. Dans le jeu, il faut tenir compte musicalement de toutes les actions possibles du joueur, et donc concevoir sa musique sur plusieurs niveaux. Par contre, dans les scènes cinématiques, c’est exactement pareil qu’au cinéma.
Quel est pour toi l’OST que tu as le plus réussi dans ta carrière?
La dernière…Toujours la dernière…En effet, j’espère m’améliorer à chaque nouvelle OST, et je fais tout pour en être à chaque fois plus fier que la précédente. Mais avec le recul, au niveau des jeux vidéo, je suis plutôt fier, musicalement parlant, de « Fade to Black », « Mr.Nutz », « Shaq-Fu », « Moto Racer », mais aussi de titres moins célèbres comme la série des « Cocoto » sur PS2, Gamecube, Wii etc, ou même « Jimmy’s Fantastic Journey » sur Amiga. Récemment, je me suis aussi fort bien amusé sur une nouvelle licence de jeu anglaise appelée « Nimnims », à paraître prochainement, pour laquelle j’ai même « chanté » à nouveau (je l’ai fait plusieurs fois sur d’autres jeux).
Pour les films, « Aux Yeux des Vivants » est la bande originale dont je suis le plus fier, car j’ai réellement pu faire ce que je voulais, musicalement, sur ce film, un mélange d’hommage et de modernité avec, j’espère, une touche personnelle…
Joues-tu aux jeux vidéo? Collectionnes-tu toujours?
Absolument ! Je joue depuis mes 5 ans et n’ai jamais cessé, sur toutes les machines possibles, du passé comme du présent…Et en effet, je suis toujours aussi collectionneur…
Quels sont tes projets professionnels en ce moment?
J’ai composé à nouveau pour un film, américain cette fois, (mais pour les mêmes réalisateurs que « Livide » et « Aux Yeux des Vivants ») qui s’appelle « The ABCs of Death 2 », la suite d’une anthologie de 26 films/26 réalisateurs (pour les 26 lettres de l’alphabet) qui sortira prochainement.
Entre 3 et 4 autres projets de longs-métrages se profilent doucement à l’horizon, pour moi, dont le prochain Maury & Bustillo. J’espère pouvoir en parler très bientôt.
Également la musique du prochain jeu de la société « Odenis Studio », qui s’annonce vraiment très impressionnant, à ce que j’en ai déjà vu, et donc aussi celle du fameux « Niminims » de la société anglaise Mickim Games…
Mise à part la musique, as-tu d’autre loisirs ou passions?
J’en ai plusieurs : le cinéma et les jeux vidéo, évidemment, mais aussi la robotique (les « Aibo » de Sony, entre autres, m’ont toujours fasciné), les poissons et l’aquariophilie (je possède même un requin naturalisé de plus d’1 mètre, chez moi), l’univers de « Star Wars » et ses produits dérivés, les grands restaurants etc. Je n’ai jamais le temps de m’ennuyer.
L’équipe de Gangeek Style te remercie d’avoir répondu à nos questions et surtout pour ton travail sur Mister Nutz!
3 commentaires
Une tuerie cette interview. Honnêtement je ne connaissais pas le monsieur mais c’est super cool de connaitre mieux un métier comme le sien ! Et puis Shaq Fu quoi …
La musique oppressante de Fade to Black m’a pas mal marquée.
Il peut en être fier en effet. Super interview.
moi je fais parti des gens qui ont saigné shaq fu parce que bon, un cadeau est un cadeau et il faut lui faire honneur, et puis merde le shaq quoi je l’aurai pris dans tous les cas !
Du coup je remercie M. Gesqua pour les musiques qui font passé la pillule !