THAUG : naissance d’un monstre

Dernier projet qu’il m’ait été donné de sculpter pour le Kickstarter Conan (Monolith), on peut dire que cette bête effroyable m’aura donné du fil à retordre.

Imaginez ma tête quand cet intimidant concept d’Adrian Smith a atterri sur mon bureau !

Les dessous de l’affaire : apparaissant dans l’histoire de Robert E. Howard  A witch shall be born, Thaug (ne pas confondre avec Thog, autre entité cauchemardesque décrite dans une toute autre histoire de Conan, The slithering shadow) est un démon colossal invoqué par la reine usurpatrice Salome au sein du temple sacré d’Ishtar. L’action conjuguée des Zuagirs et de Conan sera requise pour renvoyer le monstre dans son plan d’origine (ou si ça l’arrange, dans la plus proche dimension parallèle).

Tout le monde s’y est laissé avoir : le concept ne représente pas l’entité dans son intégralité, mais seulement la tête de la créature émergeant des flots. Difficile de nier la parenté cthulienne de son aspect (Howard et Lovecraft entretenaient des liens épistolaires, si on s’en souvient bien) … encore que cette ressemblance ait pu être amplifiée par l’illustrateur, des représentations très diverses du monstre circulant sur la toile.

Vous trouverez consignées ici mes notes de conception, incluant mes réflexions, mes erreurs et mes tâtonnements … ceux qui voudront s’essayer à ce genre d’exercice les trouveront très instructives -XD-

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Une fois passée la surprise initiale, il était temps d’élaborer un protocole pour construire une pièce aussi volumineuse (à l’échelle 32mm, s’entend). Allions nous avoir besoin d’un moule à charlotte pour définir ses dimensions ?

Ayant assisté par le passé à des échecs épouvantables sur ce genre de structure, je tenais expressément à éviter deux écueils classiques :

1) ébaucher les formes de la figurine dans une masse de Fimo compacte. Le danger : se retrouver avec une pièce cuite à différents degrés à coeur et en périphérie. Défaut qui pousse le master à se fissurer dans tous les sens (et attention : là, on ne parle pas de petites craquelures superficielles en surface, il est question de zébrures qui le traversent de part en part !)

2) construire une coque creuse en fimo pour servir de base à la sculpture.       Le danger : voir toute la structure s’affaisser sous l’effet de la chaleur lors de cuissons ultérieures. Après tout, une telle mésaventure était arrivé à mon collègue Juan Navarro (¿Sigues vivo? ^^) pendant la construction de son Hekat Golgoth pour AT-43. Un autre concept d’A.Smith, par pure coïncidence.

Une fois la taille de la chose parfaitement définie avec le client (« la figurine doit pouvoir tenir dans un cercle de 80mm« ), j’ai ébauché sa forme générale en play-doh (cette odeur ! Quelle nostalgie !). J’ai ensuite posé des pans de Milliput yellow-grey par dessus pour former une coque rigide, soit une base de travail saine pour la suite des opérations.

Et une fois l’ensemble polymérisé, j’ai pu l’évider par en-dessous comme on extrairait la chair d’une carapace de crabe.

Plutôt que de prendre le risque d’abîmer les détails pendant la coupe une fois le modèle fini, j’ai préféré séparer la coque en deux à la scie de bijoutier dès ce stade,

La dernière chose à faire aurait de suivre les recommandations d’un conseiller technique mal avisé, qui me suggérait de partir d’une grosse masse de fimo, de sculpter l’ensemble et de procéder à la coupe en abaissant un fil très fin sur le master avant cuisson, à la façon d’un fil à couper le beurre. Pas de blagues !

Test d’adhérence de la Sculpey III sur le milliput. Ca devrait le faire.

J’ai collé les deux parties sur une plaque de balsa à la superglue. Je comptais sur le fait que cette colle perde ses propriétés adhésives vers 120°C pour pouvoir dissocier les deux morceaux au sortir du four.

L’importance de multiplier les clichés à ce stade devient évidente ici: en offrant un regard neuf sur l’objet, ils permettent de mettre en évidence des dissymétries pas si évidentes à déceler à l’oeil nu (la technique du miroir peut être utilisée alternativement pour un résultat similaire).

Quelques creux on dû être traités différemment sur le haut du crâne … juste histoire d’aménager certains reliefs délicats pour faciliter le moulage.

En ajustant ces tentacules sur le crâne, il m’a fallu garder en tête que les creux les séparant risquaient de générer d’importants problèmes de contre-dépouille. A défaut de les reboucher complètement, il allait me falloir les atténuer. Pour des raisons similaires, les piques ornant les « joues » du Thaug allaient toutes devoir pointer dans une direction orthogonale au plan de moulage.

Etait-ce intentionnel de la part d’Adrian de donner au monstre un aspect aussi foufounesque ? Faudra lui poser la question à l’occasion.

La aussi, il faudra trouver un compromis entre une position esthétique pour les petits tentacules et leur facilité à être moulés. Ils appellent déjà au rebouchage !

L’une des exigences du client : marquer les plis de l’épiderme à l’extrême, pour un maximum de lisibilité au moulage.

Changement de plan:  les bulbes des yeux ont été refaits en greenstuff. La meilleure tenue de la matière et sa plasticité les rendent plus facile à garder lisses et réguliers.

J’ai pris des libertés sur les ventouses ornant les « joues » de la chose, trouvant  plus intéressant de les disposer sur une surface segmentée que sur un vaste plat.

Autant bien les équilibrer afin d’éviter leur chute permanente lors de futures parties.

Une féroce session de texturage à l’outil-boule. Sûrement l’opération que j’aurai la plus répétée pendant tout le projet.

Une première photo d’ensemble, qui laisse présager du meilleur.

Rajout de quelques veines absentes du concept pour créer des animations en surface. Le danger : oublier de les sécuriser à  la cyano avant de confier le master au mouleur. C’est le meilleur moyen pour que ces détails minuscules se détachent de la pièce et restent dans le moule.

Il est temps de placer les armatures des crocs / défenses / forcipules émergeant de cette gueule béante.

Je n’avais placé les défenses en milliput que pour la sensation, pour estimer le volume qu’elles allaient occuper. Une fois la pièce cuite, je préfère les reprendre en sculpey.

On est plus très loin à présent …

La pièce de la langue trifide était prévue dès le départ pour être emprisonnée au montage entre les deux coques. D’habitude, mieux vaut éviter les plans biscornus de ce genre (il faut toujours compter avec un décalage possible au moulage) mais là, ça marche bien.

« […] Il sentit son sang se glacer dans ses veines alors qu’il fixait du regard la jeune sorcière qui avancait en chancelant […] « THAUG !! » hurla t’elle, vacillant sur le sol. « THAAAAAUG !! ». Comme en réponse à cette terrible invocation, un puissant coassement retentit et résonna à l’intérieur du temple; on entendit un bruit de métal et de bois qui ploient puis craquent […] Surgissant des ténèbres à l’autre bout de la grande galerie, une forme titanesque se souleva, puis se jeta sur lui. Il aperçut l’éclat de grands yeux surnaturels, la lueur de griffes ou de serres.« 

A toi de jouer pour la mise en couleurs, Bangdoll !