Sébastien Picque

0

(photographie de Camille Charpin, http://latoilenoire.tumblr.com/  )

Gangeek Style a l’honneur d’interviewer aujourd’hui Sébastien Picque. Peintre attitré de plusieurs marques de figurines prestigieuses, il est l’un de ces magiciens de la peinture qui, ayant survécu à l’école Rackham, a pu affirmer ses techniques depuis. Avant-gardiste de la texture, grand expert en “salissure maculante”, il ne cesse de nous épater par ses travaux aussi réalistes qu’audacieux.
“Exigence” est son maître-mot … pas de compromis avec le maestro !

N’hésitez pas à visiter la Page Facebook  Dead Fish Painting et Le site officiel wonderlands-project.com:

dsc_3802__sized_l

-Hello Sébastien Peux-tu te présenter pour nos lecteurs ?
Bonjour. Seb donc, 35 ans, vivant à Rouen après avoir fui la région parisienne, professionnel de la peinture de bonshommes depuis 12-13 ans maintenant.

-D’où te vient ton pseudonyme de Jakovazor ?
Une vieille référence à South Park. J’essaye de me détacher de ce pseudo depuis un bout de temps. Communiquer sur mon nom est plus parlant professionnellement.

-Comment as-tu mis le doigt dans la figurine à tes débuts ?
Ça remonte à mes 13-14 ans, des potes de collège m’ont fait tester Space Crusade et découvrir White Dwarf. Une vraie révélation pour moi. J’ai ensuite fait l’acquisition de 40k V2 et à partir de là, je n’ai jamais cessé de collectionner et peindre des figurines.

DSC_3434
-Quand on s’est rencontrés, tu travaillais en freelance pour le studio peinture Rackham. Comment étiez-vous rentrés en contact. Que retires-tu de cette expérience ?
Avant le freelance, j’ai bossé presque un an en fixe pour eux. Je les avais harcelés pendant un moment pour qu’ils m’embauchent, j’étais totalement fan de Confront’ à l’époque.
On ne peut pas dire que la collaboration se soit déroulée sans encombres, mais j’en ai retiré une première expérience pro dans le milieu de la fig., et surtout j’ai rencontré des personnes très talentueuses dont certaines à qui je dois en grande partie ma « carrière » actuelle.
Et puis bien sûr le fait d’observer des peintres qui à l’époque avait un niveau technique à des kilomètres du mien, m’a permis de pas mal progresser.

-Selon toi, quelles sont tes premières pièces que le public a commencé à remarquer ?
Je me rappelle que mes pièces que j’utilisais en tournoi de Warmachine plaisaient beaucoup et quelques autres pièces perso de l’époque ont marqué un peu, comme le Centurion Yliad Games. C’était en 2004-2005 si j’ai bonne mémoire.
Personnellement, je pense que mes productions pour Smog sont celles qui ont le plus participé à me créer une visibilité.

Doctor Zeels

-Déjà à l’époque (2005), on s’étonnait de la facilité avec laquelle tu mixais des techniques de peinture traditionnelle et l’emploi de l’aérographe. Il t’a fallu beaucoup de temps et d’expérimentation pour parvenir à ce résultat ? Oui pas mal, l’aéro c’est compliqué.
A tel point que j’ai fini par quasiment l’abandonner pour revenir aux pinceaux uniquement. Je ne me sers maintenant de l’aérographe que pour les bases sur les grosses pièces ou pour créer certains effets.

mrm_dkl_kth_kro_mbs_101_000_01_large
-On s’est revus peu de temps après chez Smart max, à travailler sur le projet Smog. As-tu pris du plaisir à travailler sur cette gamme ? Cette échelle différente a t-elle bousculé tes habitudes ?
Énormément. Travailler avec Smart Max reste ma meilleure expérience à ce jour.
Et oui le changement d’échelle fut un choc à l’époque. 20mm de plus sur une fig. et je ne savais plus trop comment m’y prendre. C’est là que j’ai appris à bosser sur la globalité d’une pièce et non zone par zone. Être appuyé par un graphiste/illustrateur (Christophe Madura) m’a beaucoup aidé.
C’est aussi ce changement d’habitudes qui m’a permis de « fixer » ma palette, en l’axant sur des teintes réalistes, qui s’harmonisent facilement.

-Tu as aussi peint sur Eden, sur Mortebrume, Helldorado Alkemy, ExIllis, Kabuki, Des Kit, Masquerade … on note ta collaboration sur le Grand Livre de la peinture sur figurines. Plus récemment sur la gamme de créatures géantes de Maelstrom Games (devenus depuis Mierce Miniatures). Tu t’es attaqué à des projets de plus en plus volumineux !

foulques le noir
C’est un des avantages du freelancing, on peut un peu toucher à tout. Mais les collaborations sont parfois éphémères. Je regrette par exemple de ne pas avoir pu bosser plus sur Hell Dorado et que la gamme n’ait pas vraiment tenu.
L’article pour le GL, c’était vraiment pas grand-chose, mais c’était cool d’être une référence du NMM à l’époque.

Comme le passage du 30mm au 1 :35, bosser sur des grosses bêtes avec Mierce fut un véritable défi. J’ai maudit certaines pièces tellement j’ai passé de temps dessus (je veux plus entendre parler de dragons depuis). Mais encore un fois, ce fut très formateur. J’ai du mal depuis avec le 30mm, je préfère les figurines plus grosses qui laissent plus d’espace pour bosser couleurs et textures.

-En fait, quand on regarde les crédits, on a l’impression que les clients sont si contents de ton travail qu’ils ne veulent plus avoir affaire à quelqu’un d’autre. Tu deviens ainsi leur “monsieur peinture” attitré, le temps que dure leur projet. Une façon de faire qui te convient bien ?
J’essaye d’être le plus pro possible avec mes clients, que ce soit dans le respect des délais comme dans le respect de la direction artistique et je suis toujours très franc avec eux. Ca fini par créer un lien un peu plus que professionnel et c’est ce qui fait que les collaborations durent.
Et ça me convient bien, car je n’aime pas trop le one shot. J’aime participer au développement d’une gamme, créer ou aider à créer des codes couleur, créer une synergie avec le travail des sculpteurs … C’est ce que je trouve le plus motivant.

c366a74420326d1839bd537fce762c15
-Tu peins pour toi de temps à autres, ou plus vraiment le temps ?
Très rarement, comme beaucoup de pros du milieu. Mes productions personnelles sont quasi uniquement liées au jeu. J’ai pas mal de choses peintes pour DUST et j’essaye de continuer et puis je vais tenter de faire quelque mise en couleur sur Blood Rage.

DSC_3928
Je bosse généralement en Tabletop là-dessus, puis parfois je me fais un craquage, comme le Terminator de la Deathwatch, pour travailler d’autres couleurs ou techniques. Là je pousse le boulot comme pour une peinture d’expo.

DSC_3858-2
-Depuis la peinture régimentaire que tu as fait chez R (on se rappelle les conscrits du griffon que tu nous peignais à une cadence taylorienne), tu t’es réessayé à l’exercice depuis ?
Je ne fais plus de régimental strict (heureusement pour ma santé mentale, peindre des dizaines de troufions UNA pour AT-43 avec le même camo bleu sur bleu aurait certainement laissé de graves lésions neurologiques si j’avais continué).

P1010103

P1010190Mais il m’arrive encore de faire des petites squads, avec plus de variations dans les motifs et les teintes (comme les barbares Red Box Games peints récemment), c’est beaucoup plus agréable.

-Y’a t’il une gamme sur laquelle tu aimerais particulièrement travailler en ce moment ?   Avec mon Retour sur Mauser Earth, je travaille sur une gamme qui me plait vraiment. Sinon j’aimerais qu’on me propose plus de SF, peindre de la fantasy depuis des années peut devenir lassant. J’aurais aimé collaborer sur Infinity et les gammes récentes comme Last Saga ou Fallen Frontiers conviendraient grandement à mes envies picturales.

DSC_0145
-En tant que freelancer, réponds-tu aux demandes de clients particuliers, ou peins-tu seulement pour les éditeurs ? C’est assez aléatoire aux fil des ans. Comme je disais plus haut, une collaboration suivie avec un éditeur est le type de job qui me motive le plus mais il m’est arrivé de travailler avec des particuliers. Je travaille aujourd’hui une très grande partie de mon temps pour un collectionneur.
Par contre J’ai souvent dû refuser des jobs ponctuels pour des collectionneurs à cause de manque de place dans mon planning. Je n’aime pas demander à quelqu’un de patienter pendant plusieurs mois. C’est rarement perdu pour tout le monde, car ce sont des boulots que je refile aux copains.

Garlan

-Quelles peintures utilises-tu dans ton travail ? As-tu une gamme de prédilection ? Oui, totalement, j’utilise quasi uniquement des produits Vallejo. Je garde aussi quelques précieuses vieilles encres Games, ça dépanne bien sur certains effets.

-Quand on parle avec toi, on a l’impression que tu es toujours très critique vis à vis de ton propre travail. Une habitude qui remonte à loin ? Quand je suis arrivé chez Rackham, j’étais persuadé d’être bon et j’y ai finalement pris une grande leçon d’humilité. Depuis je suis resté très critique surtout quand je vois la qualité des prods actuelles, j’ai toujours l’impression d’être à la ramasse et d’avoir des années de retard sur la maîtrise technique ou graphique de certains peintres.
Et puis le regard critique permet de se laisser une marge de progression. Quand on est persuadé d’être le meilleur, c’est là qu’on commence à faire de la merde.

-Comment définirais-tu ton style de peinture ? A t’il beaucoup évolué avec le temps ? Qu’est ce qui fait sa spécificité ?
Pas évident de définir un style. J’aurais tendance à dire « réaliste adapté aux contraintes graphiques ». Ce qui ne veut absolument rien dire. Pour traduire, je dirais que quel que soit le degré de « fantastique » des pièces, j’essaye de les ancrer dans la réalité par l’utilisation de teintes et textures spécifiques mais tout en hésitant pas à mettre un truc qui flashe si ça s’avère nécessaire pour la lecture ou la prestance du modèle.
Ce style a effectivement évolué dans le sens que ça fait quelques années que je le mets en place. L’expérience Rackham m’avait formaté au lissage à tout prix, il m’a fallu pas mal de temps pour déconstruire ces habitudes.

P1070096
-Y’a t’il une technique spéciale dont tu revendiques la paternité ?  Je ne parlerais pas d’une technique mais il est vrai que là où beaucoup de peintres ne jurent que par la palette humide, je travaille sans presque jamais diluer ma peinture et je mélange rarement les teintes. Un coup de main qui se prête parfaitement aux travaux de textures mais qui a ses faiblesses, comme pour le travail des peaux par exemple.

dsc_3921__sized_l
-On ne peut s’empêcher de remarquer l’intérêt que tu portes aux textures. C’est une sorte de quête personnelle ? Il y a un peu de la quête de visuel réaliste. Je trouve que les peintures trop lisses donnent souvent l’impression que le modèle est constitué d’un seul et même plastique de couleurs différentes. La texture aide à la lisibilité des différentes zones d’une pièce. Plus qu’une quête personnelle, c’est surtout une technique qui me convient bien.

DSC_4037
-Quels univers préfères-tu ? Quel genre de pièce aimes-tu traiter ? A l’inverse, y’a t’il des trucs qui t’horripilent ? Incontestablement, la SF. Que ce soit dans le ciné, la BD, le manga, la figurine comme le JDR ou les jeux vidéo, c’est toujours la SF qui me fait rêver. J’ai également une grande affection pour le post apo et les univers uchroniques (WWI-II).

DSC_4039

Il n’y a pas de genre de pièce que j’aime traiter plus qu’un autre. Tout va dépendre du design, de la qualité de la sculpture… Le nombre de figurines qui me plaisent et que j’aimerais peindre est incalculable et totalement éclectique dans le style.
Il y a par contre des choses que je ne supporte pas, les dragons par exemple. Je n’aime pas spécialement peindre des figurines énormes en règle générale, devoir passer plusieurs semaines sur un même job me rend dingue.

53a9f8b5e3c0abacb3f721d5aff09b34

-La question con, qu’on puisse mieux cerner tes goûts : quelles sont tes figurines préférées ? Les figs des gammes Smog et Mauser Earth (pas toutes mais pas loin), pas mal de références chez Infinity, le Reich chez Dust Tactics (surtout les walkers) et une très grande partie des productions de JAG, Allan Carrasco et Patrick Masson.

DSC_2053

-Qu’est-il arrivé à Dead Fish Painting, ton blog ? On ne peut pas dire qu’il soit exactement tenu à jour. Le blog est mort depuis bien longtemps. J’utilise Facebook maintenant, cette plateforme est bien mieux adaptée à la diffusion en masse et la mise à jour est simple.
J’ai récemment ouvert un compte sur Putty and Paint également (Merci Valentin Amon Zak) pour me confronter aux grands de ce monde.

-Tes inspirations musicales quand tu peins ?  Tout dépend du moment, là c’est surtout le post-core/ rock, l’electro indus ambiant, le math-metal/core/rock, le trip hop…

-As-tu d’autres passions sorties de la figurine ?  Même si leur pratique est un peu chaotique ces derniers temps, j’ai un faible pour la pratique de la photo de portrait et de la basse. Et je suis un gros joueur, plateau, figs, video, jdr, tout y passe…

-J’ai retrouvé au hasard des pages du net une citation de toi : »pour se rendre compte si une figurine est « lisible » ou pas, il faut la regarder en la mettant à bout de bras ». Depuis, constates-tu une évolution dans la façon dont les gens peignent ?J’ai dit ça moi ?
Je doute qu’il y ait un quelconque rapport mais oui la façon dont les gens peignent a évolué et dans le bon sens. L’accès au net avec tous ces forums, tutos et maintenant vidéos a engendré une hausse globale du niveau.

P1010482
-Aurais-tu des recommandations, ou un coup de gueule constructif aux sculpteurs pour faciliter ton boulot ? J’aurais tendance à recommander aux sculpteurs de peindre tout simplement (ce que beaucoup font déjà), pour pouvoir mieux appréhender la génération des volumes par rapport à un travail de colorisation au pinceau.
Le coup de gueule serait pour ces trop bons sculpteurs qui arrivent à faire des détails tellement petits que même mon micro pinceau m’apparaît comme une truelle à côté.

-Parlons du projet actuel et futur crowdfunding de Wonderland Projects, le revival de Mauser Earth. Comment êtes vous rentrés en contact avec Florian Nampont (Oni)? On s’était déjà croisé sur divers salons, mais, étant rouennais tous les eux, on a commencé à faire connaissance au Warp, notre dealer de jeux et organisateur de soirées ludiques préféré.

dsc_4015__sized_l

-Peux-tu nous en dire plus sur la façon dont Wonderlands a récupéré le projet de Smartmax ? Cédric Lemitre, créateur et ancien possesseur de la gamme a décidé qu’il était temps de passer à autre chose et cédait donc le projet. Je ne connais pas tous les détails mais il s’est trouvé que Florian était très enthousiaste à l’idée de faire perdurer la gamme via Wonderlands.

-On parle d’une gamme de combien de pièces ? Il y a actuellement une vingtaine de pièces au catalogue. Plusieurs en cours de sculpture et une bonne grosse flopée de concepts prêts à être mis en volume. Une sortie mensuelle est prévue pour l’instant.

PANZERJUNKER-U-BOT-Mauser-Earth
-Même si ça sort de tes attributions, saurais-tu nous dire à quel type de jeu on doit s’attendre ?
On espère ne pas se limiter à un seul jeu et développer la gamme au-delà de juste la figurine.
Nous avons déjà réfléchi et commencé à développer un jeu d’escarmouche permettant d’utiliser les figurines au 1:35.
Et plus tard, un jeu de plateau pourrait voir le jour, un jeu à plus grande échelle, qui permettra de plonger plus avant dans le background de Mauser Earth.

DSC_4075

-Mauser Earth a eu moins de facilité à trouver son public que SMOG en son temps. Ce serait dû à quels facteurs, selon toi ? A mon avis, uniquement parce que la gamme n’a pas été aussi suivie que SMOG et proposait peu de figs. Je pense qu’à long terme, celle-ci aurait beaucoup plus de succès, car l’uchronie WWI-II me parait bien plus vendeuse que le steampunk. Il n’y a qu’à voir l’engouement pour DUST.

product_4811405b
-C’était un environnement qui te parlait bien, une uchronie de la seconde guerre mondiale ? Es-tu content de revenir sur cet univers ? Quelque chose va changer dans ton traitement des pièces ?Comme dit précédemment, oui je suis très heureux de retrouver cet univers.
Je suis assez satisfait de l’orientation graphique du projet, donc peu de changements sont à prévoir. Il est possible que l’on pousse un peu plus loin le côté super héros, ce qui laisserait plus de place à un traitement plus coloré.
De la même façon, je suis vraiment fan des mises en couleur de Martin Grandbarbe sur les robots de l’alliance et il y a de grandes chances que je me base sur son travail par la suite.

DSC_4059

-Des factions présentes dans le jeu, laquelle apprécies-tu le plus ? Au vu des pièces existantes actuellement, ma préférence aurait tendance à aller aux Theosoviets. Mais je pense que cela risque d’évoluer avec les nouvelles sorties.
Ma figurine préférée reste sans conteste le Soldat Inconnu de Patrick Masson.

Feature1

-Y a-t ’il des concepts ou des idées que tu aimerais voir développer dans ce contexte historique ? Bien sûr! Beaucoup de choses sont à faire, mais avant de proposer de nouvelles choses, il va falloir étoffer les factions.
Personnellement, je pense que Newark n’est pas le seul extraterrestre sur terre. J’aimerais bien savoir où se planquent ses copains…

product_4811407b

-C’est drôle, je cuisinais justement Florian à ce sujet il n’y a pas longtemps. Merci à toi d’avoir pris le temps de nous répondre. 
Merci de m’avoir consacré cette entrevue.

Partage moi ça ma gueule !

A propos du gangeekeur

Lâche un com' ou une insulte